Saddam Hussein n'était pas un homme d'Etat mais,
jusqu'à la caricature, un militaire du tiers-monde arrivé au pouvoir
par la force et convaincu de ne s'y maintenir que par la terreur.
Depuis 1979, il a ruiné son pays et resserré une poigne de fer sur
la population.
Saddam Hussein est tombé comme il a gouverné, par le fer et le
feu. Il est "dur jusqu'à la cruauté", avait dit de lui, en
1990, Evgueni Primakov. Le ministre soviétique des affaires étrangères,
que Mikhaïl Gorbatchev avait alors chargé de convaincre Saddam d'évacuer
le Koweït, avant d'en être expulsé par la force, semblait soudain
découvrir ce que les Irakiens savaient depuis plus de vingt ans :
Saddam Hussein était un homme impitoyable, pour qui la fin justifiait
les moyens.
Un homme qui, pour conjurer ses propres peurs, souvent imaginaires,
avait fondé son pouvoir sur la terreur et qui, pour assurer la pérennité
de ce pouvoir, n'a pas hésité à faire tuer des dizaines de milliers
de ses compatriotes. Point focal de ses peurs et de ses suspicions,
les Kurdes et les chiites en particulier, contre lesquels il n'a
pas hésité à utiliser des armes chimiques, en 1988 pour les premiers,
en 1991 pour les seconds. Sa cruauté n'avait d'égale que sa volonté
de puissance, une soif de grandeur qui l'a poussé à se lancer dans
les aventu-res les plus hasardeuses, le conduisant à sa propre disgrâce
et à la ruine de son pays.
Fils d'une famille paysanne d'un village proche de Tikrit, à quelque
150 km au nord de Bagdad, il "entre" en politique, lorsque,
à 18 ans, il découvre, au lycée d'Al-Kharkh, à Bagdad, les
cellules clandestines baasistes de résistance au colonisateur britannique.
En 1956, il participe à un complot avorté contre le roi Fayçal II.
Trois ans plus tard, il est l'un des trois jeunes baasistes qui
tirent à bout portant sur le nouveau maître de l'Irak, le général
Kassem. Blessé à la jambe, il se réfugie en Syrie, puis en Egypte.
De retour au pays, il est arrêté en 1964, mais il s'évade deux
ans plus tard, pour préparer le coup d'Etat qui, en juillet 1968,
amène le parti Baas au pouvoir. Il devient alors secrétaire général
adjoint du commandement régional du parti et, trois ans plus tard,
vice-président de la République. En 1969, alors qu'il est déjà l'homme
fort de l'Irak, il obtient sa licence de droit... à la pointe du
revolver : il se présente à la salle d'examens en treillis,
un pistolet à la hanche et encadré de quatre gardes du corps armés
de mitraillettes. "Du coup, les examinateurs comprirent ce qu'il
leur restait à faire", écrit le journaliste britannique
Patrick Seale.
L'histoire ancienne et récente de l'Irak est certes jalonnée d'actes
de violence. Les coups d'Etat de 1958 (qui renversa la monarchie),
de 1963 (qui amena une première fois les baasistes au pouvoir),
puis de 1968 (qui assit définitivement leur autorité) ont, eux aussi,
été marqués par des meurtres et des assassinats. Mais Saddam Hussein
a porté cette dureté à son paroxysme.
C'est essentiellement par la violence que Saddam Hussein a accédé
au sommet de l'Etat, n'hésitant pas à tuer de ses pro- pres mains,
même ses collaborateurs les plus proches. La mise en scène, imaginée
pour inaugurer son régime, après qu'il eut "convaincu", par la menace,
le président Ahmad Hassan Al-Bakr de se démettre, illustre remarquablement,
parmi des milliers d'autres, les méthodes d'un homme maladivement
soupçonneux, y compris à l'égard des siens.
22 juillet 1979. Saddam Hussein a pris le pouvoir voilà deux
semaines. Il convoque en urgence des milliers de cadres supérieurs
du parti Baas. Le rideau se lève sur la lecture, par Mohyi Hussein
El-Machadi, secrétaire général du conseil du commandement de la
révolution, l'organe suprême du parti Baas – au pouvoir depuis 1968
–, d'une "confession" détaillée de sa participation à un "complot",
qui vise à renverser le régime et à proclamer l'union avec la Syrie,
sous la direction du président syrien, Hafez El-Assad. El-Machadi
énumère ensuite les noms de ceux qui auraient participé à la "conjuration".
Ils sont priés un à un de quitter la salle. Une cinquantaine de responsables
sont ainsi mis à l'ombre. Vingt-deux d'entre eux seront fusillés
en présence de Saddam Hussein.
Parmi eux figurait Abdel Khaleq Al-Samaraï, l'un des dirigeants
historiques les plus respectés du Baas, qui était en résidence surveillée
depuis six ans, après avoir été accusé de participation à un complot
– bien réel celui-là –, ourdi par le chef de la sécurité, Nazem
Kazzar. Ce dont Al-Samaraï était en réalité coupable, c'était d'être
plus populaire que le tandem Al-Bakr - Hussein. Quant
aux "conjurés" de 1979, ils payaient de leur vie le seul fait d'avoir
contesté la procédure peu orthodoxe de l'accession au pouvoir du
nouveau numéro un irakien.
Saddam Hussein venait ainsi de donner le ton. Quiconque oserait
contester son autorité subirait le même sort.
Il feint d'avoir ignoré les brutalités dont s'était rendu coupable
Nazem Kazzar, qui se plaisait, dit-on, à prendre ses repas en assistant
à des séances de torture "raffinées", et qui avait admis
avoir torturé à mort ou fait assassiner quelque deux mille suspects
parmi les baasistes dissidents, les nassériens, les Kurdes, les
chiites et les communistes. "Nous étions trop occupés dans d'autres
domaines pour exercer sur Kazzar un contrôle minutieux", plaida
Saddam Hussein après la trahison de son vassal.
Nul n'en fut dupe, car c'était lui qui l'avait nommé à ce poste,
et il ne pouvait avoir ignoré, pendant cinq ans, les exactions dont
Kazzar s'était rendu coupable. Exécutions, disparitions, assassinats,
"morts naturelles" en prison ou mystérieux accidents de la route
ou d'hélicoptères n'ont pas cessé.
Saddam Hussein a aussi pratiqué sans scrupules la violence de masse,
faisant transférer de force, dans le sud de l'Irak, en 1975-1976,
après l'effondrement de leur mouvement autonomiste, quelque 300 000 Kurdes.
Contre ceux-ci, il n'a pas hésité à utiliser des gaz en 1988, devenant
ainsi le premier homme d'Etat à recourir à l'arme chimique contre
sa population. Cinq mille Irakiens périrent dans la seule localité
de Halabja, et plusieurs milliers d'autres ailleurs. En 1970, déjà,
il avait monté un attentat – manqué – contre le fils du dirigeant
kurde, Moustapha Barzani, qu'il tenta, sans succès, d'éliminer un
an plus tard.
Plus encore que les Kurdes, Saddam Hussein redoutait les chiites,
majoritaires dans le pays. En 1979, il en a fait arrêter plusieurs
milliers et fait assassiner en prison, l'année suivante, leur chef
spirituel, l'ayatollah Bagher Sadr, ainsi que plusieurs membres
de sa famille, dont des femmes. Parallèlement, il a fait déporter
plus de 100 000 habitants d'origine persane, contraints
d'abandonner tous leurs biens en l'espace de quarante-huit heures
pour se réfugier chez leur voisin iranien.
L'Iran, qui, sous le règne du chah, aspirait à devenir le gendarme
du Golfe, qui n'avait pas hésité à instrumentaliser les Kurdes irakiens
contre le régime de Bagdad et s'était vu qualifier d'"agent de
l'impérialisme américain" dans la région, l'Iran avec lequel
le conflit sur la délimitation de la frontière dans le Chatt el-Arab
avait enfin été réglé en 1975 – aux dépens de la rébellion kurde,
bradée par le chah, et d'opposants iraniens, expulsés par Bagdad
–, l'Iran, donc, venait de tomber aux mains d'un pouvoir religieux
qui ne faisait pas mystère de sa volonté d'exporter sa "révolution".
Entre 1975 et 1979, Saddam Hussein avait quelque peu oublié le
"socialisme" et la "laïcité" du Baas, pour se rapprocher
des monarchies voisines – notamment l'Arabie saoudite et la Jordanie.
Après avoir écrasé dans le sang la rébellion kurde, il avait aussi
réussi à éliminer tous ses rivaux, à concentrer les pouvoirs aux
mains de ses seuls hommes de confiance, à quadriller le pays par
un système de services de renseignement à plusieurs étages, et il
se sentait donc suffisamment à l'aise à l'intérieur pour pouvoir
s'offrir cette ouverture.
Ce tournant fut facilité par la flambée des prix du brut après
l'embargo décidé, en 1973, par les Etats producteurs arabes. Saddam
Hussein sut mettre à profit cette manne pour assurer le développement
du pays et sa prospérité. Il renforça l'armée en effectifs
et en matériels. L'Irak, qui était lié depuis 1972 par un traité
d'amitié et de coopération avec l'URSS, n'était plus aussi dépendant
de l'aide de Moscou. Saddam Hussein s'offrit même le luxe de resserrer
les liens économiques avec les Etats-Unis, alors même que les relations
diplomati-ques entre les deux pays étaient rompues depuis 1967.
LA prise d'otages à l'ambassade des Etats-Unis, à Téhéran, en novembre
1979, glaça d'effroi l'ensemble des pays arabes du Golfe et l'Occident.
Saddam Hussein crut venue l'heure de démontrer qu'il pouvait être
leur protecteur, et, par ce biais, se frayer un chemin dans la cour
des grands. Un attentat manqué, commis le 1er avril à Bagdad,
contre le vice-premier ministre Tarek Aziz, par le parti chiite
Al Daawa, acheva de le convaincre de la nécessité d'éliminer
le "danger" chiite iranien.
Persuadé qu'il ne ferait qu'une bouchée de l'armée iranienne, affaiblie
après la révolution, Saddam Hussein prit seul la décision de déclencher,
le 22 septembre 1980, la guerre contre l'Iran. La propagande
officielle s'empressa de la baptiser "Qadissiya de Saddam",
du nom d'une célèbre bataille qu'en l'an 636 les musulmans
remportèrent sur l'empire perse des Sassanides. Cette erreur faillit
lui coûter le pouvoir, lorsque, aux premières victoires irakiennes,
dues à l'effet de surprise, succéda l'amertume des premières défaites.
La guerre dura huit ans. L'Occident encouragea le maître de l'Irak
et l'aida à se doter d'armes sophistiquées. A l'issue de la guerre,
l'armée s'était certes aguerrie, mais le pays avait payé un prix
exorbitant : entre 100 000 et 200 000 morts,
quelque 300 000 à 400 000 blessés, et une dette de
70 milliards de dollars, dont la moitié envers les Etats du
Golfe.
Le culte de la personnalité, entretenu à coups d'images, de chansons
et de poèmes à la gloire du "Nabuchodonosor du XXe siècle"
– Saddam Hussein affectionnait particulièrement cette référence
–, ne suffisait plus. Les soubresauts démocratiques dans les pays
de l'Europe de l'Est avaient poussé le dictateur, effaré à l'idée
de perdre le contrôle de la situation, à renoncer rapidement à ses
promesses de démocratisation, si tant est qu'elles furent jamais
sincères.
Le président irakien avait besoin d'argent pour reconstruire son
pays, relancer son économie, acheter le silence du peuple et continuer
de se doter des armes les plus performantes, pour affronter les
"complots" iranien et israélien – le bombardement, en 1981,
par l'Etat hébreu, du réacteur nucléaire Osirak avait achevé de
le convaincre. Sûr de n'avoir de comptes à rendre à personne, après
avoir mis en coupe réglée par la terreur d'Etat et la concentration
des pouvoirs un pays de dix-sept millions d'habitants, le dictateur
était également convaincu de sa totale impunité vis-à-vis de ses
voisins et de la communauté internationale. N'avait-il pas été,
pendant huit ans, de 1980 à 1988, lors de la guerre contre l'Iran,
le "bouclier" de ces monarchies pétrolières sunnites voisines, totalement
incapables de se défendre par leurs propres moyens contre le "danger"
chiite iranien militant de la République islamique voisine ?
N'avait-il pas épargné à l'Occident, notamment aux Etats-Unis,
une intervention directe pour protéger les réserves pétrolières
stratégiques de la région ? Dès lors qu'il estimait ne pas
avoir été payé de retour, tout paraissait permis à celui qui aimait
se faire appeler le "chevalier"de Bagdad, ou le Saladin du
XXe siècle.
Pour lui rendre justice, on a invoqué l'ambiguïté de l'attitude
des Occidentaux, notamment celle des Etats-Unis, à la veille de
l'invasion du Koweït et l'ingratitude de ce dernier, qui lui était
redevable de l'avoir protégé contre l'Iran. L'un et l'autre arguments
sont vrais, mais ils ne suffisent pas à expliquer son aventurisme.
Saddam voulait que ses voisins effacent sa dette. Il voyait dans
la surproduction pétrolière du Koweït et de l'Etat des Emirats arabes
unis, qui avait fait chuter les prix du brut, une véritable "guerre
économique" dirigée contre son pays. Il accusait le Koweït de se
livrer à l'exploitation éhontée du champ pétrolifère de Roumeila,
à la frontière entre les deux pays.
Après avoir menacé sur tous les tons, le 2 août 1990, il lance
son armée à l'assaut du Koweït. Cette décision, il la prend seul.
Alors que jusqu'en 1989 le Baas, la tribu des Takriti à laquelle
il appartient, et le conseil de commandement de la révolution étaient
encore les piliers du régime, la dérive familiale, voire quasi monarchiste,
du pouvoir s'était accentuée. Les purges succédant aux purges, Saddam
Hussein ne comptait plus que sur un quarteron de supposés fidèles,
tous membres de sa famille. Même pour ces derniers, l'espace vital
était allé s'amenuisant, suscitant querelles et sanglants règlements
de comptes. Le 2 août 1990, Saddam ne met dans la confidence
que quatre de ses proches.
L'un est son gendre, le général Hussein Kamel Hassan, qui fera
défection en août 1995, avant de retourner quelques mois plus tard
à Bagdad, après avoir, dit-on, obtenu des assurances que son beau-père
passerait l'éponge. Il sera tué par les membres de sa famille, soucieux
de laver leur honneur terni par sa félonie, selon la version officielle.
Version qui n'a jamais convaincu personne. L'ordre d'extermination
était venu du plus haut sommet de l'Etat, assurent tous les Irakiens.
Après avoir envahi le Koweït, Saddam Hussein était convaincu de
pouvoir décourager, par la menace et les rodomontades, toute tentative
de libération du petit émirat par les armées alliées. Il ne sut
saisir aucune des perches qui lui étaient tendues, alors même que,
pour lui faire face, une formidable armada se mettait en place.
Il ne sut pas davantage faire machine arrière avant qu'il ne soit
trop tard. Et, lorsque sa "mère de toutes les batailles"
échoua lamentablement, il ne sut pas, non plus, tirer les leçons
de sa défaite.
"Nous pouvons vivre avec les sanctions pendant dix ou vingt
ans", a-t-il affirmé au lendemain de la guerre. Vrai pour lui
et son entourage, mais son pays est littéralement tombé en ruine,
revenu à l'ère préindustrielle. Le maître de Bagdad n'en avait visiblement
que faire, pas davantage qu'il ne semblait se soucier du sort de
ses concitoyens, dont les souffrances, au contraire, lui servaient
d'arguments pour obtenir la levée des sanctions internationales.
Au fil des ans, Saddam Hussein s'est de plus en plus coupé du reste
du monde, hanté par l'idée du "complot". Muré dans son orgueil,
il a fait reconstruire les infrastructures détruites en en cannibalisant
d'autres. Vivant de plus en plus en vase clos depuis que son pays
a été mis en quarantaine en août 1990, il a resserré sa poigne de
fer sur une population écrasée par le poids des sanctions internationales.
Sous le prétexte de contrôler une situation qui lui échappait, en
matière de finances comme de sécurité, il choisissait des boucs
émissaires au sein du peuple, auxquels il appliquait les châtiments
les plus cruels : amputation d'oreilles, marquage au fer blanc....
La terreur, encore et toujours.
Isolé du monde et s'obstinant dans l'erreur, il crut ensuite pouvoir
berner les Nations unies et tricher sur ses programmes d'armement,
pour s'en sortir à moindres frais et relancer une machine de guerre
dont nul n'imaginait l'ampleur. Il croyait aussi pouvoir indéfiniment
s'assurer l'allégeance des siens par la terreur, la corruption et
les prébendes. En un mot, il n'a pas mesuré le poids de la chape
qui s'est abattue sur l'Irak.
C'est qu'au fond il n'avait pas la stature d'un homme d'Etat. Il
était, jusqu'à la caricature, un militaire du tiers-monde, arrivé
au pouvoir par la force et convaincu de ne pouvoir s'y maintenir
que par la force. Il faut dire que, jusqu'à l'invasion du Koweït,
la méthode lui avait réussi.
L'épisode de la fuite, en 1995, de son gendre Hussein Kamel Hassan
est un exemple. Il y en eut bien d'autres, le fils aîné du dictateur,
Oudaï, psychopathe violent entre tous, se chargeant de régler leur
compte à ceux que son père épargnait encore. Oudaï n'avait pas hésité
à tuer d'un coup de batte l'homme de confiance de son père, qu'il
accusait d'avoir joué les entremetteurs en faisant faire à Saddam
Hussein la connaissance de sa deuxième femme. Oudaï n'avait pas
hésité non plus à tirer sur l'un de ses oncles, Wathban El-Takriti,
et il était à l'origine de vives tensions entre Saddam Hussein et
un autre de ses demi-frères, Barzan, qui fut, jusqu'en novembre
1998, représentant de l'Irak auprès des Nations unies à Genève.
Les opposants ont souvent fait état, au cours des dernières années,
de tentatives de coups d'Etat mises en échec par le dictateur. Invérifiable.
Une seule néanmoins, soutenue par la centrale de renseigne-ment
américaine, a bien été mise en échec en 1995. Ce qui est sûr aussi,
c'est que Saddam Hussein a fait exécuter des officiers et des opposants
par centaines et envoyé en prison des milliers de personnes, dès
lors qu'elles étaient soupçonnées de sortir du rang.
C'est cette poigne de fer, conjuguée à l'absence totale de stratégie
de la communauté internationale à l'égard de l'Irak, qui a aidé
le dictateur à se maintenir au pouvoir. Il s'est accommodé de tout,
y compris d'une souveraineté tronquée, après l'imposition par les
Etats-Unis, la Grande- Bretagne et la France de deux zones d'exclusion
aérienne dans le nord et le sud du pays. Jusqu'en septembre 1996,
il avait fait son deuil de la partie du Kurdistan située au nord
du 36e parallèle, d'où il avait retiré son armée au sol et
ses appareils administratif et paramilitaire, pour les soustraire
à des rebelles kurdes aguerris à la lutte depuis des dizaines d'années.
Connaissant bien "ses" Kurdes et les querelles intestines qui les
ont historiquement minés, il a néanmoins maintenu avec leurs chefs
un lien plus ou moins ténu selon les périodes, pour essayer de les
ramener dans le giron central. Il faut dire qu'il ne s'est pas beaucoup
trompé, puisqu'en septembre 1996 il fut appelé à la rescousse par
l'une de leurs formations, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK),
contre une autre, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK). Cette
intervention a entraîné une lamentable débandade des agents de la
CIA installés dans cette région et le démantèlement des structures
embryonnaires qu'une partie des formations de l'opposition avait
commencé à mettre en place.
D'UNE certaine manière, la CIA a rendu service à Saddam Hussein.
En créant, finançant et pariant – ou feignant de pa- rier – sur
une coalition d'opposants que beaucoup de choses divisent et qui,
surtout, n'ont pas de poids à l'échelle nationale, la CIA a contribué
à décrédibiliser les opposants et à les présenter comme des pions
des Etats-Unis. Leur manque de stratégie claire vis-à-vis de l'Irak
et leur intransigeance sur la question des sanctions ont considérablement
terni leur image auprès des Irakiens.
Paradoxalement, Saddam Hussein, au moins jusqu'en 1998, a été redevable
de sa pérennité aux différentes administrations américaines, qui
ne savaient trop si un Irak exténué n'était pas préférable à un
Irak revigoré et, surtout, qui n'avaient pas une idée précise sur
l'"après-Saddam". Un "après-Saddam" qui hante toujours les esprits,
car s'il est vrai que, dès son accession à la présidence, George
W. Bush a annoncé la couleur, en affirmant qu'il fallait renverser
le régime, l'avenir de l'Irak est toujours aussi énigmatique.
Le sort du dictateur a été définitivement scellé à Washington après
les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001. Une fois
le régime afghan des talibans mis en déroute, la détermination du
président américain à extirper "le Mal", selon ses propres
termes, s'est focalisée sur Saddam Hussein. Rien ne semblait plus
pouvoir refréner l'humeur guerrière américaine : ni les inspections
des experts en désarmement des Nations unies, ni les divisions au
sein du Conseil de sécurité de l'ONU à propos de la guerre, ni l'hostilité
des opinions publiques à travers le monde. Le 20 mars, la guerre
pour éliminer Saddam Hussein était déclenchée. Le dictateur est
tombé le 9 avril 2003.
Mouna Naïm