La pâtisserie est un art L'art du pâtissier se distingue de celui du
cuisinier par le petit nombre des ingrédients nécessaires à la confection
d'autant de chefs-d'œuvre et aussi par l'extrême précision de leur dosage
et de leur cuisson. La préparation de la pâte à lever ne demande qu'un
tour de main, mais la confiserie ou le travail du sucre obéissent à
des contraintes qu'aucune recette n'a jamais imposées aux cuisiniers.
Pourtant, les échanges sont constants entre les deux disciplines : Michel
Guérard et Guy Savoy sont d'anciens mitrons ; Pierre Hermé et Philippe
Conticini, deux des chefs de file de la pâtisserie aujourd'hui, ont
chacun porté la toque.
L'origine de la pâtisserie se perd dans la nuit des temps, celui des
Contes de ma mère l'Oye. Il est certain que, du jour où l'on fit du
pain, on mangea du gâteau également. Le monde grec ne connaît guère
que les galettes de farine, d'eau et de miel distribuées dans les gradins
au théâtre antique par les obalias. Au Moyen Age, c'est dans le même
four que l'on fait cuire le pain et la galette des fêtes. La corporation
des "oblayers" - pâtissiers ou faiseurs d'oublies - ne se sépare de
celle des "talmeliers" (qui tamisent la farine), c'est-à-dire les boulangers,
qu'au XIIIe siècle. Jusqu'à l'ordonnance de Turgot supprimant les corporations,
les pâtissiers confectionnent oublies, gaufres, nielles, beignets, rissoles,
gâteaux fins, et aussi pâtés de viande, de poissons ou de fromages.
Au XIXe siècle, le grand Carême, qui est tout à la fois pâtissier,
traiteur, cuisinier et, de surcroît, architecte, s'autorise à considérer
l'architecture comme une branche méconnue de la pâtisserie ! Cette distinction,
artificielle, explique la situation d'aujourd'hui, où les boulangers-pâtissiers
sont légion, le pâtissier souvent traiteur, et où le chef étoilé ne
dédaigne pas de confectionner les desserts, s'il n'emploie dans sa brigade
un véritable pâtissier.
Voici que Pierre Hermé, précisément, fait un retour aux sources, après
avoir porté la toque chez Ladurée. Engagé à quatorze ans par Gaston
Lenôtre, à vingt-quatre ans chef pâtissier de Fauchon, où il resta onze
années, cet héritier de quatre générations de boulangers-pâtissiers
alsaciens, déjà présent à Tokyo, s'installe sous sa propre bannière
dans deux boutiques parisiennes. Viennoiseries, glaces et sorbets, petits
fours, entremets, chocolats, petits gâteaux et tartes, c'est toute une
litanie gourmande qui prend position rive gauche. Pierre Hermé nous
annonce deux "collections" annuelles, au printemps et à l'automne, mais,
comme pour la mode, c'est le client qui décide. Un mois après l'ouverture,
le macaron est en tête des ventes, avec 30 % du chiffre d'affaires.
Voilà qui explique pourquoi le produit vedette, avant le beurre, le
chocolat, la crème ou la farine, est l'amande, en poudre, en pâte ou
bien pilée.
LES CLASSIQUES
Le macaron, c'est l'héritage italien, comme souvent dans la cuisine
française. La corne d'abondance des reines Médicis laissa choir devant
les gourmands ébahis les biscuits à la cuiller et les délicats macarons.
Le macarone vient de Venise, craquant à l'enveloppe, l'intérieur est
tendre et tout de finesse. Nancy est la capitale du macaron, grâce à
deux sœurs converses des dames du Saint-Sacrement, qui, en 1793, se
virent sans emploi et tinrent fabrique de ces merveilles. Pierre Hermé
a étendu le champ aromatique du macaron, dont les plus récents sont
garnis de caramel à la fleur de sel, de crème de pétales de rose ou
bien d'un insolite et délicieux assemblage de ganache aux fruits de
la passion et chocolat au lait. Millefeuille, mont-blanc, paris-brest,
baba, flan, tous ces gâteaux à la pâte légère et aérienne - que Pierre
Hermé appelle les classiques - sont modérément sucrés. L'accent est
mis sur la concentration des saveurs et les contrastes de texture. On
remarque sur presque tous la beauté minimaliste empreinte de japonisme
de la présentation.
Pierre Hermé justifie le dépouillement relatif de ses produits comme
une réaction à "l'esthétisme forcené qui s'est développé au détriment
du goût dans les années passées". Gâteaux aux arômes approximatifs et
aux couleurs vives, ils étaient légers, mais obtenus avec des mousses
industrielles, lyophilisées, prêtes à l'emploi. Pierre Hermé signe aujourd'hui,
sous le nom de "chuao", un biscuit au chocolat sans farine, mélange
de ganache de chocolat de pure origine, aromatisé au cassis et grains
de cassis ! Ceux pour qui le chocolat doit rester pur - les "intégristes"
- apprécieront le "choc chocolat", une nouvelle ganache au chocolat
amer, nougatine et éclats de fèves de cacao, enrobée de chocolat noir.
Le travail du chocolat fait appel à des techniques exigeantes et à la
technologie de pointe d'un découpeur sous vide d'air. Pierre Hermé estime
que la technologie n'est qu'un support de la créativité ; pour lui,
l'essentiel, c'est le goût qui tient à l'équilibre des saveurs et des
textures, au jeu nuancé des arômes.
C'est l'école de la sagesse, empruntée par beaucoup de ses anciens
compagnons de route, Christophe Felder (Hôtel de Crillon), Philippe
Chapon (restaurant Guy Savoy), Stéphane Vandermersch (pâtissier à Paris).
Une cinquantaine de véritables artistes sur quatre continents, la génération
Hermé !
Du nouveau dans la pâtisserie ? L'histoire nous montre qu'il en a toujours
été ainsi. Paris au XIXe siècle a connu la folie des galettes. La meilleure
était fabriquée chez la mère Marie, à la barrière de Fontainebleau.
Mais la mode insatiable emporta les Parisiens rue de la Lune, au profit
de la brioche. Sous l'Empire et après, ce fut Tronard, l'inventeur du
baba, qui devint le premier pâtissier de la capitale. Beaucoup de pâtissiers
ne virent jamais leur nom retenu par la postérité. Grâce à Edmond Rostand,
qui en donne la recette dans Cyrano, nous savons que Ragueneau inventa
les tartelettes amandines, mais nous ne savons pas qui imagina le saint-honoré
pour Madame de Pompadour. Pierre Hermé y ajoute du chocolat et un peu
de poire au sirop de vanille. Toute grande pâtisserie fleure le bon
vieux temps, celui de l'enfance.
Pierre Hermé, 72, rue Bonaparte 75006 Paris, tél. : 01-43-54-47-77
(ouvert de 9 à 20 heures tous les jours sauf le lundi). Seconde boutique
en décembre, 185, rue de Vaugirard 75015 Paris, tél. : 01-47-83-29-72.
Secrets gourmands, Pierre Hermé, Noésis, 2000, 236 pages, 179 F, 27,29
EURO . Pâtisserie Vandermersch, 278, avenue Daumesnil 75012 Paris, tél.
: 01-43-47-21-66.