LE MONDE | 23.10.02 | 11h46
MIS A JOUR LE 23.10.02 | 13h49

Un ossuaire du Ier siècle ferait référence à Jésus-Christ

Décryptée par un chercheur français sur un vestige funéraire appartenant à une collection privée, une inscription en araméen pourrait être la plus ancienne allusion connue à l'existence du fondateur du christianisme.

"Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus." Ces quelques mots, inscrits en araméen - la langue parlée au Proche-Orient dans l'Antiquité - sur le côté d'un ossuaire vide détenu par un collectionneur privé israélien, ont fait plus qu'éveiller la curiosité d'André Lemaire lorsqu'il les a déchiffrés. Pour ce directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études (Sorbonne), spécialiste de philologie et d'épigraphie hébraïque et araméenne, cette découverte suscitait une question : ce Jacques, ce Joseph et surtout ce Jésus étaient-ils ceux dont parle le Nouveau Testament ? S'agissait-il de la plus ancienne référence à la fois archéologique et historique au fondateur du christianisme ?

FAISCEAU D'INDICES

La réponse, affirmative à presque 100 %, est parue mardi 22 octobre dans le numéro daté novembre/décembre de la Biblical Archaeological Review."Dans cet article, résume le chercheur français, je dis explicitement que ce n'est pas absolument certain, mais probable, voire très probable." Avant de se lancer dans un sujet forcément polémique, André Lemaire a pris ses précautions. Avant tout, il fallait s'assurer de l'authenticité du vestige archéologique. Car, malheureusement, acheté il y a quelques années à Jérusalem chez un marchand d'antiquités, cet ossuaire - dont, à l'époque, on ignorait la possible importance, puisque le texte n'avait pas été déchiffré - ne provient pas de fouilles officielles.

Un faisceau d'indices prouve qu'on n'a pas affaire à un faux. Tout d'abord, la production de ces ossuaires en calcaire, dans lesquels les os du défunt étaient rangés après qu'une année de décomposition eut fait son œuvre et délesté le cadavre de ses chairs, est à la fois bien connue et bien datée à Jérusalem. Elle a commencé peu avant le début de notre ère pour se terminer lors de la prise de Jérusalem par les Romains, en 70, qui a mis un coup d'arrêt à cette industrie de taille de la pierre. Or l'apôtre Jacques - surnommé le Juste ou le Mineur, par référence à l'autre apôtre Jacques, dit le Majeur -, que certains passages de la Bible donnent pour le frère de Jésus, serait mort lapidé en 62, selon Flavius Josèphe, un historien juif de l'époque. Autres indices allant dans le sens de l'authenticité, la forme correcte des lettres et la cohérence du texte. Enfin, l'ossuaire a été examiné au microscope électronique par un laboratoire de géologie israélien, en vue d'en observer la patine et l'inscription. Conclusion de l'analyse : l'objet, qui compte plus de dix-neuf siècles d'âge, ne comporte aucune trace d'intervention moderne.

Une fois éliminée la possibilité d'une contrefaçon, reste à procéder à l'identification du Jacques dont l'ossuaire a jadis contenu les os."Les choses auraient été claires si le texte avait parlé de Jacques le Juste, Jésus de Nazareth ou Jésus le Messie, mais l'inscription est trop courte pour être assez précise", commente André Lemaire, qui s'est donc attaqué au problème par le biais des... probabilités.

FORTE PROBABILITÉ

Il a d'abord eu recours à l'onomastique, la science des noms, qui définit notamment la répartition des prénoms. A Jérusalem, au premier siècle, ceux-ci n'étaient pas très variés. Environ un homme sur dix se prénommait Joseph. Même proportion pour les Jésus. Jacques était un peu moins fréquent. "En tenant compte du nombre d'habitants à Jérusalem, qui, selon la fourchette haute, était de 80 000 personnes, et de l'onomastique de l'époque, je suis arrivé à la conclusion qu'il ne pouvait pas y avoir plus d'une vingtaine de Jacques ayant à la fois pour père un Joseph et pour frère un Jésus", explique André Lemaire. Mais, pour ce dernier, c'est avant tout l'évocation du frère du défunt qui est troublante : "Sur les quelque 2 000 à 3 000 ossuaires répertoriés, je ne connais qu'un seul autre cas où il soit fait mention d'un frère. Il faut une raison spéciale pour qu'on le nomme. C'est cette coïncidence intéressante qui rend très probable l'identification de Jacques et, dans un deuxième temps, de Jésus."

Les réserves à cette étude sont de deux natures. Les premières critiques émanent de ceux qui refusent de commenter les vestiges issus de fouilles non officielles."D'un point de vue scientifique, répond André Lemaire, on n'a pas le droit d'ignorer les inscriptions figurant sur les objets découverts par hasard. Sinon, il ne faudrait pas tenir compte d'une grande partie des manuscrits de Qumran", les fameux manuscrits de la mer Morte. L'autre critique provient des exégètes catholiques, contrariés de voir ainsi établi le lien fraternel entre Jésus et Jacques. Bien qu'évoquée explicitement dans la Bible, cette fraternité a, en effet, ensuite été remise en cause pour... préserver le dogme de la "virginité perpétuelle" de Marie.

Pierre Barthélémy


Le "maître de justice"

Les manuscrits de la mer Morte, dont les premiers rouleaux ont été découverts en 1947, et qui sont maintenant totalement décryptés, jettent une lumière directe sur la période d'où émergèrent, il y a plus de deux mille ans, le christianisme et le judaïsme rabbinique. Ces documents, écrits entre 250 avant J.-C. et 68 après J.-C., sont constitués de trois parties, dont la troisième est la plus intéressante au plan historique. Elle aurait été écrite par une secte juive, les Esséniens. Dirigés par un "maître de justice", ils vivaient dans le désert pour y "préparer les voies du Seigneur". Leurs règles de vie étaient donc très strictes, marquées par une grande exigence de pureté. Cette secte aurait préfiguré les premières communautés chrétiennes, et certains chercheurs se demandent si son maître de justice n'aurait pas été le Christ. Une hypothèse contestée que les textes concernant les Esséniens ne permettent pas de confirmer.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.10.02