"Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus." Ces quelques
mots, inscrits en araméen - la langue parlée au Proche-Orient
dans l'Antiquité - sur le côté d'un ossuaire vide détenu par
un collectionneur privé israélien, ont fait plus qu'éveiller la curiosité
d'André Lemaire lorsqu'il les a déchiffrés.
Pour ce directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études (Sorbonne),
spécialiste de philologie et d'épigraphie hébraïque et araméenne, cette
découverte suscitait une question : ce Jacques, ce Joseph et surtout
ce Jésus étaient-ils ceux dont parle le Nouveau Testament ? S'agissait-il
de la plus ancienne référence à la fois archéologique et historique
au fondateur du christianisme ?
FAISCEAU D'INDICES
La réponse, affirmative à presque 100 %, est parue mardi 22 octobre
dans le numéro daté novembre/décembre de la Biblical Archaeological
Review."Dans cet article, résume le chercheur français, je
dis explicitement que ce n'est pas absolument certain, mais probable,
voire très probable." Avant de se lancer dans un sujet forcément
polémique, André Lemaire a pris ses précautions. Avant tout, il fallait
s'assurer de l'authenticité du vestige archéologique. Car, malheureusement,
acheté il y a quelques années à Jérusalem chez un marchand d'antiquités,
cet ossuaire - dont, à l'époque, on ignorait la possible importance,
puisque le texte n'avait pas été déchiffré - ne provient pas
de fouilles officielles.
Un faisceau d'indices prouve qu'on n'a pas affaire à un faux. Tout
d'abord, la production de ces ossuaires en calcaire, dans lesquels
les os du défunt étaient rangés après qu'une année de décomposition
eut fait son œuvre et délesté le cadavre de ses chairs, est à
la fois bien connue et bien datée à Jérusalem. Elle a commencé peu
avant le début de notre ère pour se terminer lors de la prise de Jérusalem
par les Romains, en 70, qui a mis un coup d'arrêt à cette industrie
de taille de la pierre. Or l'apôtre Jacques - surnommé le Juste
ou le Mineur, par référence à l'autre apôtre Jacques, dit le Majeur -,
que certains passages de la Bible donnent pour le frère de Jésus,
serait mort lapidé en 62, selon Flavius Josèphe, un historien juif
de l'époque. Autres indices allant dans le sens de l'authenticité,
la forme correcte des lettres et la cohérence du texte. Enfin, l'ossuaire
a été examiné au microscope électronique par un laboratoire de géologie
israélien, en vue d'en observer la patine et l'inscription. Conclusion
de l'analyse : l'objet, qui compte plus de dix-neuf siècles d'âge,
ne comporte aucune trace d'intervention moderne.
Une fois éliminée la possibilité d'une contrefaçon, reste à procéder
à l'identification du Jacques dont l'ossuaire a jadis contenu les
os."Les choses auraient été claires si le texte avait parlé de
Jacques le Juste, Jésus de Nazareth ou Jésus le Messie, mais l'inscription
est trop courte pour être assez précise", commente André Lemaire,
qui s'est donc attaqué au problème par le biais des... probabilités.
FORTE PROBABILITÉ
Il a d'abord eu recours à l'onomastique, la science des noms, qui
définit notamment la répartition des prénoms. A Jérusalem, au premier
siècle, ceux-ci n'étaient pas très variés. Environ un homme sur dix
se prénommait Joseph. Même proportion pour les Jésus. Jacques était
un peu moins fréquent. "En tenant compte du nombre d'habitants
à Jérusalem, qui, selon la fourchette haute, était de 80 000 personnes,
et de l'onomastique de l'époque, je suis arrivé à la conclusion qu'il
ne pouvait pas y avoir plus d'une vingtaine de Jacques ayant à la
fois pour père un Joseph et pour frère un Jésus", explique André
Lemaire. Mais, pour ce dernier, c'est avant tout l'évocation du frère
du défunt qui est troublante : "Sur les quelque 2 000
à 3 000 ossuaires répertoriés, je ne connais qu'un seul
autre cas où il soit fait mention d'un frère. Il faut une raison spéciale
pour qu'on le nomme. C'est cette coïncidence intéressante qui rend
très probable l'identification de Jacques et, dans un deuxième temps,
de Jésus."
Les réserves à cette étude sont de deux natures. Les premières critiques
émanent de ceux qui refusent de commenter les vestiges issus de fouilles
non officielles."D'un point de vue scientifique, répond André
Lemaire, on n'a pas le droit d'ignorer les inscriptions figurant
sur les objets découverts par hasard. Sinon, il ne faudrait pas tenir
compte d'une grande partie des manuscrits de Qumran", les fameux
manuscrits de la mer Morte. L'autre critique provient des exégètes
catholiques, contrariés de voir ainsi établi le lien fraternel entre
Jésus et Jacques. Bien qu'évoquée explicitement dans la Bible, cette
fraternité a, en effet, ensuite été remise en cause pour... préserver
le dogme de la "virginité perpétuelle" de Marie.
Pierre Barthélémy
Le "maître de justice"
Les manuscrits de la mer Morte, dont les premiers rouleaux ont été
découverts en 1947, et qui sont maintenant totalement décryptés, jettent
une lumière directe sur la période d'où émergèrent, il y a plus de
deux mille ans, le christianisme et le judaïsme rabbinique. Ces documents,
écrits entre 250 avant J.-C. et 68 après J.-C., sont
constitués de trois parties, dont la troisième est la plus intéressante
au plan historique. Elle aurait été écrite par une secte juive, les
Esséniens. Dirigés par un "maître de justice", ils vivaient dans le
désert pour y "préparer les voies du Seigneur". Leurs règles de vie
étaient donc très strictes, marquées par une grande exigence de pureté.
Cette secte aurait préfiguré les premières communautés chrétiennes,
et certains chercheurs se demandent si son maître de justice n'aurait
pas été le Christ. Une hypothèse contestée que les textes concernant
les Esséniens ne permettent pas de confirmer.