Le XV de France se projette déjà sur
la Coupe du monde 2003
Les joueurs de Bernard Laporte ont atomisé l'Irlande (44-5)
et obtenu le premier grand chelem de l'histoire du Tournoi des six nations.
Invaincus depuis huit rencontres, ils veulent faire durer
leur suprématie jusqu'à l'automne 2003 et la Coupe du monde australienne.
Qui croire ? Bernard Laporte, qui confiait récemment son optimisme raisonnable
: "Cette équipe sera championne du monde" ? Ou alors ce vieil ami du
rugby français, revenu de tout et notamment de sept grands chelems,
qui affirmait, faussement pessimiste, après la nette victoire des Bleus
sur l'Irlande (44-5), samedi 6 avril, au Stade de France : "Célébrons-le,
ce septième grand chelem, savourons-le, parce que champions du monde,
on ne le sera jamais" ? Au lendemain de la démonstration tonitruante
du XV de France face à l'Irlande, les regards se tournent déjà vers
la prochaine Coupe du monde, qui se déroulera en octobre et novembre
2003, en Australie (et peut-être en Nouvelle-Zélande).
Prématuré ? Non, prémédité : "La Coupe du monde, voilà
notre objectif", martèle Bernard Laporte depuis plus de deux ans. Alors
que les Bleus et leur encadrement avaient fait du grand chelem 2002
un sujet tabou ces dernières semaines, tout ce monde semble plus décontracté
à l'évocation de cette lointaine échéance : "On y pense toujours. C'est
un point de mire que l'on a devant les yeux", indique Nicolas Brusque,
auteur de deux essais face à l'Irlande (27e et 79e minutes). Il les
a inscrits en bout de ligne, tout comme Serge Betsen (3e et 58e), alors
qu'Aurélien Rougerie a transpercé la défense irlandaise sur une moitié
de terrain (32e). "Le Tournoi n'est pas une fin en soi, ajoute Olivier
Magne. Nous vivons une aventure commencée il y a deux ans et qui se
terminera avec la Coupe du monde." Il est arrivé si vite, ce grand chelem
! Le premier de l'ère des six nations, "le premier de l'ère purement
professionnelle", selon Raphaël Ibanez.
Les deux tiers des 33 hommes appelés par Bernard Laporte
ne connaissaient le Tournoi du temps des cinq nations qu'à travers la
télévision ou les récits de leurs camarades de club déjà sélectionnés.
Nombre d'entre eux n'ont découvert le niveau international que récemment
: au début de l'été 2001, lorsque Bernard Laporte et Jo Maso avaient
opté pour le renouvellement des générations et la mise au rancart d'une
phalange de grognards plus assez motivés. Ou au cours de l'automne,
lorsqu'une cascade de blessures avait contraint l'encadrement à ouvrir
davantage les portes du XV de France.
DU BEAU MONDE
Depuis l'acte de naissance de ce nouveau groupe, à l'occasion
d'une fameuse victoire à l'Ellis Park de Johannesburg, en juin, ces
hommes nouveaux, pas tous des blancs-becs du rugby français, ont beaucoup
fréquenté le succès. En neuf mois, ils ont fait plier du beau monde
: l'Afrique du Sud, par deux fois, l'Australie et toutes les nations
du Nord ont été soumises par ce style épuré et diablement efficace.
Restent l'Argentine, une équipe en plein renouveau qu'ils retrouveront
le 15 juin à Buenos Aires, et la Nouvelle-Zélande, attendue en France
à l'automne 2002. La victoire sur l'Irlande est la neuvième en onze
rencontres disputées depuis juin 2001, la huitième d'affilée. Cette
notion de continuité ravit Bernard Laporte bien plus que le trophée
lui-même : "Le plus dur commence : on va être l'équipe à battre. Je
veux que partout où cette équipe ira, elle fasse peur. C'est cela, la
marque des grandes équipes." Faire peur, donc. Si l'on en croit les
visages des Irlandais, décomposés au moment de former une haie d'honneur
pour saluer la sortie de leurs adversaires, la méthode a de beaux jours
devant elle.
En un rien de temps, même pas une mi-temps, Keith Wood
et ses coéquipiers ont été complètement dépassés par la puissance des
Français, étouffés par leur pressing et asphyxiés par leur vitesse.
"Magnifiques", a concédé le capitaine irlandais, auteur des seuls points
marqués par son équipe, un essai consécutif à une percée rageuse, tête
baissée (11e). Ensuite, comme ses coéquipiers, il a souffert, espéré
qu'on le laisserait souffler et revoir le ballon. Jamais de la vie,
ont répondu les Français. "C'est une mauvaise nouvelle pour tout le
monde de voir la France si forte à un an et demi de la Coupe du monde",
a-t-il conclu. Si le succès colle à la peau de ces Bleus, personne,
dans ce groupe de vainqueurs, n'ignore que sa vraie force de vie - son
"âme", dit Bernard Laporte - ne sera révélée que le jour où surgira
la défaite. L'entraîneur du XV de France, qui ne loupe pas une occasion
de faire référence à l'autre équipe de France qui gagne, en football,
rêve d'entendre un jour l'un de ses joueurs dire, comme Marcel Desailly,
qu'"une victoire avec l'équipe de France, c'est mieux qu'un orgasme".
"Il faudra encore gagner le Tournoi l'année prochaine", promet Olivier
Brouzet. Et les deux tournées programmées d'ici là ? "Ce serait bien
qu'il n'y ait aucune défaite."Le deuxième-ligne dit cela sans rire,
sans en rajouter non plus. Comme son entraîneur, il sait qu'il reste
"beaucoup de chemin à parcourir" : "On a constaté des progrès dans de
nombreux secteurs face à l'Irlande, mais il reste à être performants
pendant 80 minutes."
NOUVELLE PLACE SUR L'ÉCHIQUIER
Il faudra également assumer cette nouvelle place sur l'échiquier
du rugby mondial. Plus d'une fois, par le passé, les lendemains de grand
chelem ont été délicats pour les équipes de France. "Notre objectif
est de gagner la Coupe du monde. Tant qu'on n'y sera pas arrivés, on
aura bien les pieds sur terre, vous pouvez me croire", assure David
Bory. Plus difficile encore : ce jeu qui gagne en restant simple finira
par être décrypté, décortiqué, connu de tout le monde du rugby. "Quand
les équipes se seront adaptées à notre système de jeu, il faudra chercher
ailleurs et renouveler nos schémas", souligne Gérald Merceron. Il faudra
l'enrichir, mais en évitant de succomber à la tentation d'en faire un
jeu avec trop de passes, comme celui des Anglais, trop riche, comme
une bonne recette peut être gâchée par un excès de crème. Ou alors l'épurer
encore, au risque d'en faire un jeu à l'australienne, court, précis
et efficace, mais parfois aussi fade qu'un tofu californien. "Nous avons
déjà pensé aux évolutions à apporter, assure Jacques Brunel, l'adjoint
de Bernard Laporte. Nous voulons conserver notre défense, notre discipline
et notre état d'esprit, mais aussi mettre de nouvelles ambitions au
niveau de l'attaque, avec un mode de fonctionnement pas traditionnel
et plus varié." Oliver Brouzet évoque "un tiroir" rempli "de combinaisons,
de mouvements, d'options sur l'occupation du terrain, de la définition
de zones où l'on peut jouer". David Bory, lui, "fait confiance aux entraîneurs",
qui "savent ce qu'ils font". Et phosphorent déjà pour conserver un temps
d'avance.
Eric Collier
Trente-trois joueurs pour un grand chelem Bernard Laporte
a fait appel à trente-trois joueurs pour conduire le XV de France au
septième grand chelem de son histoire. Huit joueurs ont disputé les
cinq matches : Jean-Jacques Crenca, Serge Betsen, Gérald Merceron, Damien
Traille, Tony Marsh, Aurélien Rougerie, Raphaël Ibanez (1 fois remplaçant)
et Pelous (3 fois remplaçant). Six ont joué quatre rencontres : Pieter
De Villiers, Olivier Magne, David Bory, Olivier Brouzet, Imanol Harinordoquy
et Nicolas Brusque. Cinq ont joué trois matches : Fabien Galthié, David
Auradou (1 fois remplaçant), Thibaut Privat (1 fois remplaçant), Pierre
Mignoni (2 fois remplaçant), Rémy Martin (3 fois remplaçant). Six ont
joué deux matches : Steven Hall, Xavier Garbajosa (1 fois remplaçant),
Jean-Baptiste Poux (1 fois remplaçant), Olivier Milloud (2 fois remplaçant),
Olivier Azam (2 fois remplaçant), Jimmy Marlu (2 fois remplaçant). Enfin,
Yannick Bru, Frédéric Michalak et Nicolas Jeanjean ont été titularisés
pour une rencontre, alors qu'Alexandre Albouy, Sébastien Bruno, Alexandre
Audebert, Sylvain Marconnet et François Gelez sont entrés une fois en
cours de partie.