Roue libre
Les Alpes à la vitesse d'une moto? Bizarre...
L'analyse des performances dans ces étapes nous hisse au sommet de la perplexité. (Libé le 17 Juillet 2003)

Chaque exploit et chaque athlète peuvent être rapportés à un indice de performance (le watt, unité de puissance). Ce qui, vu les puissances développées par les uns et les autres, peut rappeler, d'une certaine manière, la cylindrée d'une moto. Tout comme un et un font deux, d'une manière toute aussi mathématique et avec une marge d'erreur inférieure à 5 %, on peut donc disséquer et quantifier les performances à vélo, surtout en montagne (1). Dans une telle comparaison, voici donc les différentes catégories qui habitent le peloton du centenaire et leurs performances à mi-parcours, avant d'aborder les Pyrénées.

Mettre les gaz. En fin d'étape de montagne difficile, le ventre mou du peloton évolue avec des 300-400 W. C'est déjà très bien et disons, possible. Le club des exceptionnels (indice 400 à 420) est beaucoup plus restreint. Ces cyclomoteurs font jaser et font des envieux. S'il faut être riche pour faire partie du club des inhumains qui possèdent des plus de 420, au-delà de 450, c'est du rêve américain ou espagnol. On a pu, l'an passé, démasquer Armstrong et son potentiel fait de «retenue». Pendant quatre minutes, sur la montée finale du col de la Plagne, il a mis les gaz un coup pour rire. Il a rejoint Carlos Sastre, échappé, avec un magnifique 485 tout neuf. Il s'est trahi. Cela revenait à pouvoir suivre un cycliste roulant à 10 km/h sur une montée de 10 % de dénivelé en moyenne mais avec 100 kg sur le porte-bagages. La puissance calculée de son moteur et l'étude publiée des temps limites permettent d'affirmer qu'il aurait pu, s'il avait voulu, battre le record de cette montée qui appartenait à Indurain en 45' 40". Tout comme il aurait pu, en 1999, battre au pied levé le record du monde de l'heure sur piste quand il prit son booster 455 pour rouler à 54 km/h de moyenne lors du long contre-la-montre de Mulhouse en fin de Tour. Indurain, c'est cet athlète espagnol de 80 kg qui pétaradait sur les cols avec un plus de 500, prêté par son docteur Sabino Padilla. Il a gagné cinq Tours en régnant sur les célèbres années biotechnologiques «1990».

Avec ces méthodes scientifiques d'observation, on savait aussi pour Rumsas, étudié au Tour de Catalogne qui précédait le Tour 2002, que ce coureur «comète» pouvait évoluer dans la «cour des grands» avec parfois un beau 450. Les chiffres détectent et préviennent. A moins, comme OEdipe, de regarder les choses de loin et de haut, en s'empêchant de voir celles qui sont proches. Ces jours-ci, nous avons assisté à la traversée des Alpes la plus rapide (en vitesse moyenne) de toute l'histoire du Tour ! Iban Mayo, en 39' 09" est devenu au sommet de L'Alpe d'Huez, le 9e performeur de tous les temps de cette montée mythique, avec sa 422, à 2' 20" du célèbre Pantani, recordman en 1995, équipé alors d'une 461.

Poignée en coin. Mayo a l'excuse d'avoir roulé toute la journée «la poignée en coin» lors de l'étape de cols, dont le Galibier et le Télégraphe, à 36,755 km/h ! Cela après un Lyon- Morzine à 37,782 km/h et un Le Bourg-d'Oisans-Gap à 36,655 km/h le lendemain. Avant le Tour 2003, seules neuf étapes sur des parcours de ce calibre (longue, haute montagne avec au moins un col hors catégorie) ont été disputées à plus de 36 km/h de moyenne. Cela en fait déjà trois cette année.

Parmi les protagonistes d'un tel record, il faut bien sûr, citer Richard Virenque. Vainqueur samedi dernier à Morzine, il a retrouvé sa Mobylette débridée de la grande époque, appelée «chouchou». La même, à peu de chose près, mais repeinte avec l'émail belge de la «Davidamiton». Il peut, sans fatigue et ponctuellement, comme c'est la mode, à nouveau partir de très loin avec son 375 qui n'a aucun raté, même sur cinq heures à plein régime pendant 180 km. Exactement le même «vélomoteur» dans le col de la Ramaz 2003 qu'à Courchevel en 1997 alors qu'il courait chez Festina. Il avait mis alors sa victoire sur le compte du trèfle à quatre feuilles qu'il gardait dans sa poche. Il avait aussi mis 100 000 francs sur un autre compte, bancaire, celui d'Ullrich pour qu'il le laisse gagner (l'Allemand possédait alors un superbe 500 à amortir)(2). Cette année à Morzine, il finit seul, ce qui rehausse encore la qualité de l'essence de son engin relooké. Stéphanie, son épouse, a dit qu'elle le savait, «parce que, le matin de l'étape, une coccinelle s'était posée sur le guidon du petit vélo de son fils».

Un autre qui n'a pas changé, c'est David Montcoutié. En «suivant sans initiatives» l'an passé avec un excellent 385 non trafiqué, il avait fini 13e du Tour et premier Français. Un exploit. Il ne renouvellera pas sa place bien qu'il n'ait pas changé de monture et qu'elle soit toujours aussi bien réglée. Car il y a beaucoup plus de propriétaires de 410 bien préparés dans les stands «entraînement» du Tour. Les Rumsas, Botero, Gonzalez de Galdeano et Sevilla ont été remplacés par Vinokourov, Mayo, Zubeldia, Laiseka, Cauchiolli, Moreau, etc. Et dans la Ramaz, plus de trente coureurs avaient un 400 après 200 km de course ! Comme une grande concentration de bécanes qui suivent le rythme de l'US Postal dont les motocyclettes sont toutes les mêmes. Des quatre temps américaines 400-430 diesels neuves.

Certains sont frustrés. Simoni, par exemple, a dû ne pas pouvoir importer la 455 qui lui a permis de gagner le Tour d'Italie cette année. Aux frontières, on ne badine plus. D'autres persévèrent, comme l'Américain, Tyler Hamilton. En effet, il prouve que point n'est besoin de deux bras disponibles pour conduire un bon 400, assis sur la selle. Il suffit d'accélérer avec la main disponible.

Dragster. Alors du côté de Lance Armstrong, on gère. Comme si Petacchi avait abandonné pour lui laisser son dragster 1200, préparé par le docteur Ferrari, et utilisé lors de ses quatre sprints victorieux. Lance est fin pilote. Sa moyenne actuelle au Tour est cependant déjà prodigieuse à mi-course : 41, 632 km/h. Record à battre 40,276 km/h, un record qui date de 1999 et qui lui appartient. Reste à penser que vidange et niveaux auront été faits pendant la journée de repos. Il suffira de bien regarder après les quatre étapes des Pyrénées, si ces mythes nous abusent toujours.

(1) Frédéric Portoleau et Antoine Vayer expliquent leur méthode dans Pouvez-vous gagner le Tour ? Editions Polar, 2002.
(2) Tour de vices, Bruno Roussel, Hachette 2001.