C'est fait, on s'en doutait
un peu, mais l'heure est arrivée de l'enterrement annuel des clubs
français, tous proprement éliminés des coupes d'Europe. D'ordinaire,
c'est le moment d'entendre le Chant du Déclin, la Complainte de
la Fiscalité Etrangleuse et autre Mélopée du Retard Français. Sauf
qu'on les entend toute l'année maintenant, et que cette fois au
contraire, on n'entendra pas son principal interprète.
Les Tchèques sont des hérétiques
L'élimination de l'Olympique lyonnais par Liberec est en effet lourdement
symbolique. Non pas qu'il serait facile d'ironiser sur cette élimination
par un vulgaire club anonyme, car l'équipe tchèque est tout simplement
une excellente équipe, qui a mérité sa victoire aussi largement
que fut large le score du match retour. Point de penalty litigieux
(d'ailleurs, on ne gueule pas sur les arbitres en Coupe d'Europe),
point de coup de Trafalgar ou de déveine, juste une supériorité
sportive très logiquement récompensée pour une formation qui avait
déjà épinglé Vigo et Majorque à son tableau de chasse.
Le problème est que cette logique est une pure hérésie pour les
gens qui comme Jean-Michel Aulas établissent une équivalence presque
absolue entre les moyens financiers et les résultats. Le budget
de Liberec étant 50 fois inférieur à celui de l'OL, c'est un peu
comme si toutes les théories aulassiennes étaient tournées en ridicule,
bien plus que sa défense centrale.
Routine de la déception
Aulas et le Club Europe sont à la France ce que Florentino Perez
et le G14 sont à l'Europe. Sauf que la doctrine qui est censée faire
le bonheur de l'élite française l'exclut totalement du haut niveau
européen. Et l'on se fait bien des illusions en croyant qu'avec
une défiscalisation, la propriété des droits télé et l'entrée en
bourse, nos clubs rattraperont Manchester United ou le Bayern (voir
L'ultralibéralisme
expliqué aux enfants).
On se dit tout de même que la Coupe de l'UEFA est à la portée des
équipes françaises. On se le dit d'ailleurs depuis longtemps. Mais,
comme cette saison, on voit le PSG, Lyon ou Bordeaux jouer très
en dessous de leurs moyens et quitter la compétition prématurément.
Lille est une sorte de contre-exemple, car son parcours européen
est très honorable, et il finit face à un grand d'Europe en étant
passé pas très loin d'une qualification. On regrettera quand même
son léger manque d'audace, mais le LOSC, club pauvre s'il en est,
démontre que l'on peut jouer au mieux de ses ressources, aussi réduites
soient-elles (par contre, le différentiel entre Nantes et Manchester
a semblé d'une autre dimension mardi soir).
Où sont les grands ?
Le mal est visiblement ailleurs, notamment (on est désolé de se
répéter) dans l'incapacité des présumés grands clubs à mériter leur
épithète et à aligner les saisons avec suffisamment de régularité
et de continuité, tant sur le plan des politiques sportives que
de la gestion générale. La représentation française en Ligue des
champions n'a pas seulement souffert de la formule enrichie de la
compétition, mais aussi de l'incapacité des cadors français à y
assurer une présence régulière. L'ironie veut que l'OM risque l'exclusion
du G14 pour cause de non-qualification européenne trois saisons
consécutives. Monaco a été incapable de survivre à ses deux titres
nationaux, Paris n'en a pas remporté. Lyon réunit des conditions
essentielles (stabilité, gestion sportive cohérente), mais plafonne
désespérément, déjà au plan national…
Ces clubs avaient pourtant largement les moyens financiers et sportifs
de réaliser une partie de leurs objectifs, mais ils n'y sont même
pas parvenu sur leur propre territoire. Ce sont leurs dirigeants
qui, incapables d'exploiter leurs atouts, réclament un radical et
suicidaire changement de régime. Faut-il accorder un quelconque
crédit à ces losers professionnels? On a plutôt l'impression qu'avec
moins de moyens, ils auraient fait mieux…
Et si on arrêtait de pleurer?
A force de pleurer sur les faiblesses de notre foot national, tout
le monde finit par y croire. L'exil des internationaux n'est pas
le signe d'un rédhibitoire affaiblissement. Rien n'a changé en fait
depuis trente ans: les meilleurs joueurs du monde ne jouent pas
majoritairement en France. La différence c'est que les meilleurs
joueurs du monde sont français. C'est un peu énervant quand on voit
jouer Arsenal, mais il y a pire situation que d'être champions du
monde. Avec les discours défaitistes, on en revient à l'époque où
les clubs français faisaient tellement de complexes qu'ils ne parvenaient
pas à battre moins forts qu'eux et s'inclinaient toujours par manque
de chance, de physique ou d'expérience. Sauf que maintenant, ces
excuses ne tiennent plus.
L''attractivité des joueurs français (notons qu'il n'y a pas que
les meilleurs qui partent*) montre qu'on est capable de les former
— on le voit avec l'éclosion de prometteuses générations. Il ne
faudrait pas non plus oublier que nous disposons d'excellents techniciens,
que des joueurs exceptionnels évoluent sur les pelouses de France,
que les stades sont beaux et presque pleins... Tout est là, il ne
manque finalement qu'un peu de courage et d'intelligence. Au lieu
de cela, le foot pro offre des scandales judiciaires, des coups
d'état, des pillages internes, des limogeages d'entraîneur, des
déficits, des pressions sur les arbitres, des guerres entre les
familles du foot…
*¨Par contre, les meilleurs ne reviennent jamais.
Date: 28/2/2002
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