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             Miss football 
              Les médias unanimes chantent donc à l'unisson des hymnes à la gloire 
              du club madrilène, célébrations convenues du "plus grand club du 
              monde" qui associent la presse à une gigantesque opération publicitaire. 
              Ce n'est pas parce que la FIFA lui a attribué le titre de plus "grand 
              club du XXe siècle" qu'il faut prendre ça pour argent comptant. 
              La FIFA est aussi responsable du classement FIFA… Il y aurait certes 
              quelque mauvaise foi à ne pas reconnaître le caractère exceptionnel 
              du club, mais cette façon de vouloir trancher dans l'histoire avec 
              des hit-parades définitifs est le pénible symptôme du désir infantile 
              de tout classer. Surtout que cette légende est savamment édulcorée. 
              Dans les trente pages consacrées par France football au mythe, on 
              peine ainsi à trouver les trois lignes consacrées à Franco (et encore 
              est-ce pour exonérer Santiago Bernabeu de tout lien avec le Caudillo). 
              D'autre part, sur les trente dernières années, le Real peut-il objectivement 
              prétendre être un "plus grand club" que Manchester, Liverpool, Barcelone, 
              L'Ajax, le Milan AC ou le Bayern? Comment rendre ce genre de verdict 
              sans s'interroger sur les critères? Passons. 
             Florentino Perez instrumentalise parfaitement la 
              "légende" pour en faire à la fois une "marque" et un outil de promotion 
              de cette marque. Comme exemple de cet effet-miroir, on peut se rappeler 
              qu'en début de saison, le sponsor maillot du Real était… le Real 
              lui-même par l'intermédiaire de son site web (en revanche, reconnaissons 
              que ce maillot rendu vierge est absolument somptueux). Le président, 
              excellent publicitaire, s'était aussi félicité avec insistance de 
              la couverture média du transfert de Zidane, qui remboursait presque 
              à elle seule son montant… (voir Dream 
              team, nightmare football). 
             Le jeu, cette contrariété 
              Le Real-plus-grand-club-du-monde devient donc une vérité indiscutable. 
              Pour la finale de la Coupe du roi, premier des trois objectifs du 
              club cette saison, des dizaines de pages ont été consacrées à l'analyse 
              du "phénomène" (alors que le phénomène, c'est essentiellement cette 
              médiatisation effrénée). On a à peine parlé de l'adversaire. Car 
              il était difficilement imaginable que celui-ci se mette en travers 
              d'une voix aussi royale. 
              Manque de chance, La Corogne est une excellente équipe (elle l'a 
              encore prouvé, et de quelle manière, contre Arsenal en Ligue des 
              champions), qui n'a pas forcément apprécié d'être ainsi réduit au 
              rôle de faire-valoir. Par ailleurs, il se trouve que c'est aussi 
              le champion d'Espagne 2000 et le vice champion 2001, mais cela devient 
              un détail dans le vacarme ambiant. On dira que le club galicien 
              ne compte pas de stars… Pourtant, il abrite de très grands joueurs. 
              Tiens, les deux appellations ne désigneraient-elles plus les mêmes 
              footballeurs? On voit l'opposition philosophique entre les équipes 
              de vedettes et les équipes tout court. 
             Le scénario a donc été bafoué par ces impétrants, 
              incapable de respecter les hiérarchies. Les dithyrambes étant quelque 
              peu tournés en ridicule, il a fallu parler de surprise, voire de 
              stupeur, là où une rencontre de football a simplement livré un vainqueur 
              méritant.  
              Le club madrilène a donc inutilement payé la police d'assurance 
              souscrite pour le cas où il aurait remporté les trois titres visés 
              cette saison, ce qui l'aurait condamné à verser de fortes primes 
              à ses joueurs (voir Gazette 
              71). Dommage qu'il puisse pas s'assurer de (manière licite contre 
              la défaite), conformément à une vision du football européen qui 
              voudrait en faire une rente de situation pour un aréopage de clubs 
              élus. 
             Le denier du culte 
              Bien sûr, le football se nourrit d'emphase, d'enchantement, de légendes 
              enjolivées. Mais quand ce processus est entièrement calculé, prémédité, 
              planifié comme une opération de pur marketing, quand toute spontanéité 
              disparaît, quand on ne fait plus la différence entre la publicité 
              et la réalité, on peut parler de perversion de la passion et de 
              détournement à des fins commerciales. On avait assisté à de telles 
              célébrations au début de l'année 1998, autour d'un Brésil magnifié 
              et systématiquement adulé, confondu avec la mythologie des pubs 
              Nike. Le moindre dribble suscitait des exclamations, à tel point 
              que les commentateurs avaient mis un temps fou à se rendre compte 
              de la médiocrité de la Seleçao. 
             En France, impossible de parler du culte du Real 
              sans parler de celui de Zidane, autre icône, l'un alimentant l'autre 
              en permanence (de plus, la dépréciation du football hexagonal entraîne 
              une valorisation extrême des clubs étrangers dans lesquels évoluent 
              des joueurs français). Il est tout de même difficile de s'en plaindre, 
              car le spectacle est un régal qu'il ne s'agit pas de le bouder, 
              pas plus qu'il ne faut s'étonner de cette surexposition. On pourrait 
              dire que sportivement, l'adulation est plus justifiée, dans la mesure 
              ou le Real ne surclasse pas autant la Liga que Zidane ses adversaires 
              (voire ses partenaires). Ce qui frappe, c'est une nouvelle fois 
              l'exploitation médiatico-commerciale intensive qui en est faite 
              et qui est contrôlée directement par le club. Il y a un sujet à 
              ne pas aborder avec Zidane, qui se braque instantanément, c'est 
              la nature de son contrat. Tout le monde s'accorde à dire qu'il inclut 
              la cession de ses droits d'image au Real, sur le même modèle que 
              celui de Figo, mais ce secret de Polichinelle reste classé secret 
              défense. 
             Une équipe de football peut donc toujours en battre 
              une autre. Mais combien de temps ce principe survivra-t-il aux appétits 
              des "entreprises" de football? A quand des compétitions que seuls 
              les plus-grands-clubs-du-monde seront autorisés à gagner?  
            Date: 12/3/2002 
              
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