LES BLEUS SANS PLAN B ?

Etienne Melvec

Le consensus qui s'est installé autour de la sélection n'est pas uniquement dû à ses résultats incontestables depuis quatre ans, mais aussi parce que la hiérarchie entre les joueurs est assez claire, qu'ils vivent bien la concurrence et que le schéma tactique de Lemerre leur offre un moyen d'expression idéal. Le 4-2-3-1 presque immuable du sélectionneur a ainsi réussi une bonne synthèse, à partir d'une donne profondément transformée depuis 1998 par l'éclosion d'une exceptionnelle génération d'attaquants. Cette configuration a permis de trouver un équilibre plus que satisfaisant entre missions défensives et capacité offensive, l'ensemble du jeu s'articulant très logiquement autour de Zidane.

Même un Jérôme Bureau très motivé aurait donc du mal à trouver une faille pour y glisser le coin de la polémique. En revanche, les solutions apportées par le sélectionneur en l'absence de son maître à jouer prêtent plus le flanc à la critique. Il n'y a certes pas de raison de se complaire à imaginer la catastrophe d'une défection de Zidane, mais il faut bien y penser, dans la mesure où l'équipe de France ne se retirerait pas pour autant de la compétition. D'autre part, il sera judicieux de soulager Zidane d'un peu de temps de jeu — en cours de rencontre si l'avantage au score est suffisant, ou encore lors du troisième match de poule si la qualification est acquise (cf. Danemark 98 et Pays-Bas 2000) — sans pour autant compromettre l'équilibre de l'équipe.

La logique de la doublure
Si doubler les postes est une préoccupation bien légitime, il est plus contestable que cette logique s'applique telle quelle pour le numéro 10 des Bleus, qui ne peut être remplacé poste pour poste sans que cela implique une très sensible baisse de niveau de toute l'équipe. Il semblerait plus indiqué de se résoudre à une modification du plan de jeu. Roger Lemerre n'a jamais semblé envisager réellement cette option. La façon dont il a utilisé jusque-là des joueurs comme Carrière et Micoud est assez significative de ce parti pris. À l'exception très notable d'un Turquie-France avec Micoud qui fut peut-être le match le plus accompli des Bleus depuis l'Euro, Lemerre n'a jamais associé Zidane avec un joueur un "second meneur" (sauf si l'on veut considérer que Djorkaeff figure dans cette catégorie). La candidature de Carrière a toujours été évaluée comme celle d'un remplaçant à Zidane, et le rôle de Micoud semble également se cantonner à celui de suppléant, alors que l'habit est un peu large pour lui (voir la seconde période de France-Belgique). Dommage pour l'hypothèse souvent rêvée sur ces pages d'un autre technicien-organisateur au milieu de terrain, qui aurait permis de libérer son chef de file d'une partie de ses tâches.

Malheureusement pour nous autres contempteurs de Djorkaeff, seul ce dernier a gardé une chance d'être associé au Madrilène, malgré le constat d'une non-complémentarité évidente depuis six ans — mais que les titres mondiaux et européens ont mis entre parenthèses. Le choix de milieux-attaquants excentrés a remis en course le joueur, lequel bénéficie une nouvelle fois de son statut indéfini. On risque de le voir à la fois comme remplaçant de Zidane et comme solution sur le flanc droit.

Un système unique
On peut facilement comprendre les raisons qui incitent Lemerre à ne pas expérimenter un système A bis, avec Zidane. La sélection française est une des rares équipes qui ont fait le choix de jouer avec un vrai meneur de jeu axial, et ce choix implique que toute l'architecture de la formation s'appuie sur cette clé de voûte. Et répétons-le, cette tactique qui a fait ses preuves ne souffre pas de vraie contestation.

Par contre, il est peut-être regrettable que pour les configurations sans Zidane, une vraie alternative n'ait pas été testée, capable de limiter l'impact excessif — avec remplacement poste pour poste — de son absence au centre du terrain. Pourquoi pas sous la forme d'un classique 4-4-2 dans lequel on retrouverait deux meneurs excentrés et deux attaquants sur le front de l'attaque? Il permettrait de répartir les responsabilités entre les dépositaires de l'organisation, sans remettre en cause l'assise défensive, inchangée, ni la puissance offensive. Micoud a justement été champion de France dans cette position en 99, de même que… Carrière cette année. Avec les attaquants disponibles, il n'y aurait pas de problèmes de complémentarité devant.

Cette disposition n'a été brièvement testée qu'en Afrique du Sud (7 octobre 2000, 0-0), avec Makelele et Robert (Laurent, pas Pires), avec Wiltord et Anelka en pointe (puis Hanry et Trezeguet). Ce match constitua la seule entorse au 4-2-3-1 réglementaire depuis l'Euro 2000, avec le France-Brésil de la Coupe des confédérations, disputé dans un 4-3-3 à géométrie variable (8 juin 2001, 2-1). Une Coupe des confédérations assez intéressante puisque disputée sans Zidane, qui en dehors de cette compétition n'a raté que deux rencontres internationales (France-Cameroun — 4 octobre 2000, 1-1 et AfSud-France). Lors du tournoi asiatique de l'an passé, Carrière et Djorkaeff avaient été titularisés deux fois chacun comme meneur de jeu, sans déroger au schéma tactique. Depuis, Zidane n'a plus manqué une seule des sept rencontres de la saison en cours, et la question ne s'est plus posée jusqu'à ce France-Belgique (sur l'instauration du schéma des Bleus, voir Un quatuor pour l'attaque, 26 mars 2001).

L'hypothèse méritait certainement d'être examinée sans esprit de polémique. Aujourd'hui, elle n'est plus vraiment de mise. Les choix étant faits et en l'absence de Carrière et Pires, les options sont encore plus restreintes. De toute façon, la démonstration précédente en arrive finalement à cette piètre conclusion que sans Zidane, l'équipe de France est mal barrée…

Date: 19/5/2002