Dans le but de rétablir
les chances de ses challengers, l'équipe de France a inventé la
Coupe du monde à handicap. Qu'on en juge. Elle se passe d'abord
de son joueur qui a connu la plus forte progression depuis deux
ans, puis exempte de premier tour son meneur de jeu emblématique.
Elle a la charité de passer au travers de son premier match, puis
de jouer à 10 la majeure partie de son second. Pour le troisième,
Petit, en pleine forme, et Henry, en petite forme, seront suspendus…
Pour tout dire, on a l'estomac noué, les dents qui
tombent, les mauvais pressentiments qui nous réveillent la nuit
et des marabouts plein les placards. On en a marre de ce France-Paraguay
qui dure dix jours. Alors pour soigner le mal par le mal et affronter
l'avenir, nous avons décrit l'affrontement des forces telluriques
opposées qui pèseront dans la balance pour conduire à l'élimination
ou à la qualification. Voilà deux thèses qui décrivent les deux
conclusions possibles pour ce quitte ou double.
L'hypothèse Highway to Hell
La France avait déjà grillé l'essentiel de ses chances en perdant
contre le Sénégal et ce qui restait d'elles en concédant le nul
à l'Uruguay. C'est ce que l'on dira au terme d'un match qui n'aura
pas permis de remonter une telle pente. Le parcours des Bleus ressemblera
à une mort à petit feu, qui nous aura permis d'amortir le choc psychologique
en trois étapes. Mais la peur qui nous avait habité dès le coup
de sifflet final du premier match n'aura pas menti, tout comme cette
déveine très vite constatée.
Le scénario
On imagine bien les Bleus livrant un combat de tous les instants
et manquant d'un rien la qualification dans la chaleur accablante
d'Incheon. Zidane sera trop court, Trezeguet insuffisant, Cissé
pas miraculeux… Les Danois seront transcendés par l'enjeu, les poteaux
s'acharneront, une maladresse enfoncera le clou… Une victoire trop
courte semble toutefois plus probable qu'un écroulement, car les
Bleus ne semblent plus devoir passer au travers d'un match.
L'après-match
On fera le procès du calendrier de préparation, de la liste des
23, du sélectionneur, du dispositif tactique, de la mentalité des
joueurs, des sponsors, de l'unanimité. On tirera à boulets rouges
de grandes leçons de morale, on enterrera plus ou moins dignement
cette génération qui n'aura pas su se retirer à temps. C'est Roger
Lemerre, forcément démissionnaire, qui concentrera les critiques,
notamment de la part de tous ceux qui écrivent avec le frein à main
depuis quatre ans (voir Un
couteau dans la manche). Peut-être même que certains rédacteurs
des Cahiers du football insisteront sur le fait qu'une perte de
balle de Djorkaeff aura fait basculer le destin de nos héros.
Il n'y aurait pourtant là qu'une équipe ayant été défaite dans ce
jeu si versatile qu'est le football, et la fin douloureuse d'une
belle histoire. Mais n'anticipons pas, nous aurions dans ce cas
tout le loisir de boire le calice jusqu'à la lie, une fois le temps
venu de l'hallali.
L'hypothèse Let There Be Rock
Le retour de Zidane est l'élément décisif du match. Même à 70%,
il apporte la confiance et la fluidité qui feront la décision. La
réussite sourit enfin aux Bleus, qui d'un seul coup rétablissent
la hiérarchie et retrouvent tous leurs moyens.
Le scénario
On ne développera pas cette hypothèse pour ne pas jouer avec la
providence et pour laisser aux joueurs le soin de la réaliser à
leur convenance, avec des buts miteux ou avec trois ciseaux retournés.
L'après-match
Que la qualification soit obtenue presque tranquillement ou arrachée
avec les tripes, c'est l'exploit. Malgré les blessures et les suspensions,
le moral des Bleus est regonflé, ils font à nouveau peur et les
pronostics pour le huitième de finale sont totalement ouverts. Les
sponsors et les médias respirent, les couteaux disparaissant dans
les manteaux, "Tous ensemble" fait de l'audience, les Directs des
Cahiers deviennent enfin drôles…
Bilieux de terrain
D'autres acteurs préparent eux aussi le terrain. On voit ainsi L'Equipe
faire la promotion de… Philippe Christanval, dont le bon esprit
est mis à l'épreuve d'un interview
miné. David Trezeguet est également très sollicité par le quotidien
sportif… Il faut dire que Roger Lemerre a profondément irrité certains
journalistes en jouant au chat et à la souris avec leurs majestés,
magistralement trompés sur le dispositif prévu contre l'Uruguay
par des faux huis clos et par des taupes qui devaient être des agents
doubles. Vincent Duluc déplore maintenant cet "exemple édifiant
des fausses pistes qu'il aime à provoquer" (L'Equipe, 08/06). Édifiant,
en effet. Le comique de l'histoire, c'est que tout le monde a gobé
la fiction d'un retour à trois milieux et d'une titularisation de
Dugarry au poste de meneur de jeu, dégoisant à tout va sur l'inconséquence
des choix de Lemerre, qui avait sélectionné Micoud pour rien… Par-dessus
le marché, le maintien contre vents et marées du 4-2-3-1 a été récompensé
par la reconnaissance quasi-générale d'une bonne prestation française
contre l'Uruguay.
Nos analystes se sont rabattus sur la gestion du
remplacement de Lebœuf, avançant d'abord l'hypothèse que Christanval
avait été trop long à enlever le survêtement. Ensuite, on a déploré
l'impulsivité du choix de recentrer Thuram, décidé au bord de la
touche. Pourtant, ce repositionnement est réclamé depuis longtemps.
Depuis, les spéculations concernent essentiellement la recomposition
de la défense face au Danemark. Il est ainsi reproché au sélectionneur,
cet impétrant, de ne pas se tenir aux indications qu'il avait données
précédemment sur les hiérarchies à chaque poste. Importe-t-il pourtant
qu'il soit conforme à ce qu'il annonce, ou qu'il prenne les bonnes
décisions à l'instant T? Doit-il contractuellement dévoiler ses
plans dans le détail afin que les commentateurs autorisés puissent
déployer leurs analyses d'experts, et qu'accessoirement l'adversaire
soit lui aussi bien informé? Quelle tristesse d'en revenir aux mêmes
procès qu'en 98.
Qu'importent les surprises réservées par Lemerre, elles n'ont pas
toujours été mauvaises, y compris dans un passé récent (Cissé),
qu'importent le dispositif et les titulaires (quoi qu'il soit très
amusant d'essayer de deviner)… On a l'impression que les 90 minutes
qui s'annoncent se joueront sur tout autre chose. Allez, on va vomir
et on y croit!
Date: 9/6/2002
|