Les raisons auxquelles
on peut attribuer cette élimination sont si nombreuses que chacun
privilégiera la sienne. On a déjà pu constater dans cette Coupe
du monde que les écarts s'étaient resserrés entre les ténors présumés
et les autres. Dans un tel contexte, une légère baisse de niveau
est fatale et aucune force magique n'a permis de renverser un destin
qui a semblé plombé dès la première mi-temps de France-Sénégal.
Un verdict sans appel
Les facteurs négatifs se sont multipliés avant la compétition: blessures
tragiques de Pires et Zidane, accumulation de la fatigue sur quatre
saisons et non seulement sur la dernière, vieillissement des cadres,
perte d'éléments essentiels, éparpillement au travers des sollicitations
médiatiques, défection de la chance... Ces sombres précurseurs ont
été suivis d'une nouvelle accumulation de sorts contraires au cours
de ce premier tour… Peut-être était-il devenu impossible, dans un
contexte profondément transformé par la consécration sportive elle-même,
de préserver l'esprit irréprochable qui avait prévalu jusque-là.
Des ressorts invisibles se sont cassés, expliquant l'absence de
rebond entre les matches et de réaction décisive au cours de ceux-ci.
On cherchera donc des références historiques plus
lointaines que les deux derniers tournois internationaux, si brillamment
remportés. On ne peut ainsi s'empêcher de penser à l'Euro 92 en
Suède, lui aussi abandonné sans victoire par une équipe qui semblait
pourtant avoir tous les atouts en main, mais incapable d'enclencher
une dynamique positive. C'est à un tel engrenage que nous avons
assisté depuis le 31 mai, et c'est l'hypothèse d'une mort à petit
feu qui l'a emporté (voir Précipice
and love).
Faisant le constat douloureux de l'absence de but
comme, logiquement, de victoire, c'est une immense frustration qui
domine, car à aucun moment nous n'avons vibré, sinon de peur, à
aucun moment nous n'avons pu nous lever pour crier une joie même
fugace. Voir les autres équipes marquer parfois abondamment est
une expérience cruelle, qui en retour souligne durement l'impuissance
générale des Bleus. Cette frustration s'accompagne d'une certaine
incompréhension qui renvoie plus à une défaillance collective qu'à
une responsabilité individuelle. On peut se repasser le film de
quelques instants précis, comme ce but bizarre de Bouba Diop, comme
les cinq montants qui ont repoussé les occasions les plus nettes
des Bleus, comme l'expulsion d'Henry, comme cette erreur de marquage
de Candela sur le but de Rommedahl… Mais manifestement, les Bleus
n'avaient ni le carburant, ni la solution.
Ouvrez les procès, dressez l'échafaud
Ce bilan comptable déprimant, alors que la sélection comptait dans
ses rangs les meilleurs buteurs italiens, anglais et français, placera
l'essentiel des responsabilités dans les choix de Roger Lemerre,
qui n'a pourtant fait que maintenir sa confiance dans un groupe
et un système qui avaient déjà réalisé des miracles. Mais on a toujours
tort quand on perd, et toutes les explications auront l'air valable,
toutes les alternatives paraîtront meilleures rétrospectivement,
qu'il s'agisse du choix des joueurs comme du schéma tactique, de
la préparation.
On attend maintenant avec anxiété le défilé des
procureurs revanchards, qui vont enfin pouvoir ouvrir les vannes
de leur ressentiment, surtout à l'encontre d'un sélectionneur qui
les a tournés en ridicule plus souvent qu'à leur tour. Ceux qui
ont été mortifiés en 98 réussiront-ils à cacher leur satisfaction,
ou à la travestir suffisamment pour ne pas avoir l'air de trop se
réjouir? Triste suspens… Ils surferont de toute façon sur la vague
de mécontentement, sur la légitime exaspération devant l'omniprésence
médiatique et publicitaire des internationaux. Ils ne manqueront
pas dire qu'ils avaient prévu le fiasco, que l'unanimité obligée
a empêché les remises en cause, que Lemerre a été incohérent etc.
Ils ne se priveront pas de retourner dans la plaie le couteau qu'ils
avaient dans
la manche. Ce triomphe des défaitistes sera certainement le
moment le plus difficile à vivre.
Ni amnésie, ni nostalgie
Prenons bien garde à ne pas dénaturer les bonheurs infinis de 98
et 2000 au jour de cet échec, même s'il jette une lumière de crépuscule
sur cette fabuleuse génération. Remercions celle-ci à la hauteur
de ce qu'elle nous a apporté, à l'aune des titres conquis. Aujourd'hui,
les images de ce passé si proche, si lointain, se colorent d'une
teinte acide, semblent ternies par un épilogue indigne, mais elles
retrouveront bientôt leur véritable éclat. Simplement, nous aurons
une conscience affinée de leur valeur, notre expérience, trempée
dans la déception, étant désormais complète.
Une page se tourne toujours sur une nouvelle. L'équipe
de France a encore un titre à défendre, Zidane est toujours le meilleur
joueur du monde, Vieira, Henry et Trezeguet sont jeunes et nous
avons tant d'espoirs…
Date: 11/6/2002
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