Imprévoyants, nous n'avions
pas préparé de rafale d’articles rageurs attribuant la défaite à
untel ou untel, et pérorant qu’on l’avait bien dit. Tout juste a-t-on
fait ici un peu d’anticipation (voir Menaces
sur les Bleus et La
grande débine). Malheureusement, le destin n’a pas eu plus d’imagination.
On ne s’est pas non plus privé de critiquer des Bleus qu’il était
difficile d'aimer comme avant, mais aujourd’hui, on n’a pas envie
de s’acharner sous des prétextes fallacieux. Tout simplement parce
qu’on n’a pas la prétention de connaître les véritables causes de
l’élimination, ni d’ailleurs le secret d’un retour rapide sur le
devant de la scène. Chercher ce secret, c’est d’ailleurs sans doute
plus important. Le lynchage médiatique et le déferlement de critiques
rarement argumentées qui se profile, incite en tout cas à essayer
de prendre du recul, car il semble évident que les vraies raisons
de cet échec ne se trouvent pas dans ce déchaînement tous azimuts,
qui résulte plus d'une détresse psychologique que d’une analyse
raisonnée.
Car la France du football a mal. Chacun l’exprime
avec son caractère, et selon son passé de supporteur. Des amateurs
"historiques" sont presque contents de renouer avec les discours
pamphlétaires d’antan dont ils ont été longtemps sevrés. Certains
nouveaux supporteurs que les victoires ont drainés par milliers
s’en détachent à nouveau, et reprennent les discours des premiers
pour retourner à leur agnosticisme footballistique. Tandis que d’autres,
nombreux heureusement, réalisent enfin que la performance des Bleus
sur ces quatre dernières années est exceptionnelle, et qu’elle prend
fin dans une belle compétition.
Essayons alors d’imaginer autre chose que des discours
rebattus, sans garantie de résultat, bien sûr.
Une nouvelle victoire du jeu
Tout d’abord, les Danois ont été très bons, comme à leur habitude.
Ils sont un peu le révélateur de l’équipe de France, qui surmonte
l’obstacle en se sublimant lorsqu’elle en bonne forme, mais trébuche
impitoyablement lorsqu’elle ne l’est pas. Le jeu de l’équipe de
France n’a pas présenté suffisamment de percussions, de permutations,
de changements tactiques pour déstabiliser une équipe bien positionnée
par un entraîneur ayant parfaitement analysé son jeu. Alors bien
sûr, on peut s’acharner sur les joueurs qui ont pris des initiatives,
qui ont essayé de perturber le bel ordonnancement de cet enterrement
de troisième classe. Comme Candela ou Dugarry. S’en prendre aux
joueurs qui ont essayé de prendre leurs responsabilités dans le
jeu, c’est se focaliser sur les symptômes d’un mal dissimulé. On
peut aussi, plus justement, reprocher l’absence de solutions offertes
au porteur de la balle par des joueurs qui laissent leur partenaire
sans autre ressource que de tenter l’exploit. Même Zidane a fait
des mauvaises passes. Est-il pour autant un mauvais joueur? Non,
il est resté isolé, comme ses efforts. Parfois, son génie a comblé
et fait illusion, mais ça n’a pas suffi.
Progressivement mis en confiance par la justesse
de leur tactique et par un but qui a bien profité de la fébrilité
défensive adverse, les Danois ont pu calmement exploiter leurs ressources
techniques et leur vision du jeu. Ces qualités sont loin d’être
nouvelles, et souvent n’ont pas suffi face à cette même équipe de
France. Mais cette fois-ci, la France n’a pas su surprendre, ni
même renouveler ou imposer son jeu. Dans le football, tout évolue
rapidement. L’équipe du Danemark 2002 a peut-être battu une équipe
de France restée en 1998.
Renouveler ou imposer son jeu, c’était peut-être
là la question. Lemerre devait-il bouleverser son système tactique?
La réponse semble facile aujourd‘hui, mais cette solution n’était
peut-être pas la meilleure. En tout cas, ses joueurs n’ont pas su
s’imposer suffisamment . Ont-ils eu toutes les clés de la part de
leur entraîneur? Difficile de l'affirmer. Peut-être ne le saura-t-on
jamais. Peut-être cela a-t-il moins d’importance que de trouver
ce qu’il faut à cette équipe pour rebondir. On peut d’ores et déjà
en retenir qu’il faudra régénérer ses capacités à surprendre et
à s’imposer. On peut être confiant dans l’avenir, car la qualité
des nouvelles générations est toujours excellente. Espérons que
nous ne gâcherons pas cet espoir en cassant ce qui nous a fait rêver.
Par ailleurs, pour l’anecdote, ce match aura permis
de montrer, si besoin était, qu’aucun joueur n’est dépositaire exclusif
du jeu d’une équipe. Pas plus Zizou qu’un autre. Certes, il était
vraisemblablement diminué, certes il a montré comme toujours de
belles choses, mais, dans un sport collectif, tout ne saurait reposer
sur un seul être humain providentiel, aussi excellent et attachant
soit-il. Ce n’est d’ailleurs pas seulement applicable qu’au sport.
Une autre dimension
C’en est terminé de l’ère des défaites glorieuses et des victoires
piteuses. L’équipe de France a entamé l’ère des victoires glorieuses
et des défaites forcément piteuses en comparaison. Le goût de la
défaite est autrement plus amer. Il n’y a pas eu cette fois d’arbitre
laissant impuni un Schumacher (même celui de France-Uruguay). Pas
eu de Kostadinov pour laisser croire que l'on est injustement passé
à côté du bonheur. Les poteaux n'étaient même pas carrés.
Aujourd’hui, l’équipe de France est dans une autre division, celle
des grandes équipes dont le jeu et les joueurs sont analysés, décortiqués
voire copiés par la plupart des entraîneurs du monde. Dans cette
catégorie, la France n’a pas encore l’expérience du Brésil, de l'Argentine,
de l'Italie ou de l'Allemagne, pour contrer et surprendre un adversaire
qui s’est organisé en fonction de leur jeu, ou pour être en mesure
de lui imposer impitoyablement son système malgré cette préparation.
Conformément à l'adage, le plus dur n’est pas d’atteindre le sommet,
mais d’y rester. Cette élimination rapide devrait nous faire apprécier
à une plus juste mesure la performance que constitue la constance
des prestations de ces grandes équipes.
C’est une cruelle désillusion donc, mais il ne faudrait
pas tout détruire sous le prétexte qu’on n’a pas réussi une première
compétition dans la cour des grands. Ce serait redescendre complètement
au niveau d’antan, et renouer avec ces petites victoires et grandes
défaites. Peut-on apprendre l’art de la durée? Oui, mais pas en
cassant cette équipe de France et ses cadres. Il faudrait plutôt
s’inspirer de l’exemple italien, allemand, argentin ou brésilien,
pour que cette ère se prolonge au-delà de ce Mondial.
En conclusion, merci pour ces quatre années inoubliables,
et pour toutes celles qui viendront. Bonne Coupe du monde à tous!
Date: 11/6/2002
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