Toujours dans la douleur
La saison aura été difficile pour le mal-aimé de l’Equipe de France.
A Bordeaux, le capitaine Girondin n’a joué qu’une partie des matches
en raison de blessures multiples. Des tensions avec ses dirigeants
sont par ailleurs apparues à l’automne, Duga menaçant de quitter
le club au mercato. Finalement, il n’en a rien été, mais le joueur
n’a pas pour autant brillé lors de ses apparitions sous le maillot
marine. Dans une équipe à la peine, celui-ci a trop peu apporté
au regard de ce qu’un club peut légitimement attendre d’un joueur
de ce calibre. Trop inconstant, il a néanmoins participé (et de
quelle manière) à l’un des plus beaux buts de la saison lors de
la finale de Coupe de la Ligue au Stade de France.
Chez les Bleus, on se souvient surtout du tacle assassin dont s’est
rendu coupable Kevin Muscat lors du déplacement en Australie. Mais
lors de son retour printanier, Duga a réussi des performances qui
sont allées crescendo en sélection, au point d'escamoter la polémique
sur sa présence parmi les 23. Déjà un exploit.
Dans un rôle de joueur de couloir comme les affectionne
Roger Lemerre, Christophe Dugarry peut s’avérer très utile, d’autant
plus depuis la grave blessure de Pires. Moins rapide et adroit que
Henry, mais meilleur dans la conservation du ballon et dans le jeu
de tête, le Bordelais trouvera sans doute sa place sur le terrain
dans des matches qui nécessitent la présence de joueurs à la fois
fins techniciens et gros combattants.
Son point fort
Sa grande capacité à savoir rester zen sur un terrain.
Son point faible
Il a plus une tête à claques qu’une tête à marquer des buts.
Son geste technique
Les yeux de teckel maltraité pour faire sanctionner d’un carton
jaune le défenseur adverse qui vient de le tacler.
Son objectif personnel
Ne pas se faire siffler par le public coréen.
Le point de vue de Jean-Patrick Sacdefiel (1)
Enfin un vrai joueur de foot, dans la droite lignée de l’un des
plus grands milieux de terrain qu’ait connu l’Equipe de France:
David Ginola. Enfin quelqu’un qui ose faire une roulette, deux crochets
et trois passements de jambe pour effacer un défenseur, avant d'attendre
qu'un second revienne sur lui. Dugarry n’est pas de cette nouvelle
race de milieux de terrain, qui comme Robert Pires ne mise que sur
sa vitesse pour espérer adresser un bon ballon à un coéquipier.
Il faut d’ailleurs remercier un obscur défenseur anglais de nous
avoir épargné la présence du mielleux attaquant des Gunners en Corée,
dont on se demande encore comment il peut faire se gargariser un
pays entier de ses performances de simple sprinter. N'oublions pas
non plus que Dugarry est celui qui a tout appris à Zinédine Zidane
lors de sa période bordelaise
Mais aussi:
DUGARRY VERS SA REDEMPTION?
Chaque tournoi final apporte
au cours de la compétition son lot de révélations, celles de joueurs
qu'on n'attendait pas ou qu'on n'attendait plus... Le statut de
Dugarry à la veille de l'Euro était particulièrement incertain avec
la concurrence d'une impressionnante nouvelle génération d'attaquants
qui semblait rendre encore plus hypothétique qu'en 98 sa présence
régulière sur le terrain. Dans ce contexte, on le voyait au mieux
jouer les utilités ou tenir compagnie à son "copain Zidane", selon
le cliché en vigueur depuis le dernier Mondial, et ses détracteurs
vilipendaient pour la énième fois sa scandaleuse présence dans les
22…
Les raisons de la haine
Il faut bien reconnaître que Dugarry a mis tous les atouts du côté
de ses innombrables procureurs: une belle gueule pour exciter les
jalousies, une certaine nonchalance dans ses attitudes, des réactions
violentes et parfois stupides, une grande capacité à provoquer les
fautes tout en jouant bien des coudes, un faible rendement de buteur
et pour couronner le tout une affaire de dopage conclue en queue
de poisson (vice de forme en septembre dernier)… L'attaquant semblait
tout désigné pour rejoindre le club des Six ou Ginola, sans jamais
bénéficier de la mansuétude sans limites qui a protégé Cantona ou
Djorkaeff.
Sur les stades de France, il est ainsi devenu une tête de Turc obligée,
un défouloir facile pour siffleurs-nés, avec pour point d'orgue
cette saison 99/2000 durant laquelle il fût de plus en plus systématiquement
pris pour cible. Ses répliques sur le terrain (comme à St-Etienne),
sous le maillot marine, auront été beaucoup plus parlantes que ses
mots, désespérément maladroits.
Un parcours à charge
Le parcours chaotique du Bordelais est pour beaucoup dans cette
image brouillée. Depuis son exceptionnelle saison avec les Girondins
96, il a connu des blessures toujours malvenues et aligné trois
transferts qui l'ont empêché d'affirmer vraiment son niveau: de
Milan à Marseille en passant par Barcelone, il n'a jamais trouvé
un cadre propice à son expression de footballeur. Laissé pour compte
en Italie et en Espagne par des entraîneurs aussi obtus que Van
Gaal, faisant les frais des déboires marseillais (alors que la saison
de son retour avait été brillante), il apparaissait pourtant pour
beaucoup comme le principal responsable de sa propre déveine. Element
à charge lors des "procès Jacquet" du premier semestre 98, il s'était
de plus retrouvé en première ligne de la vindicte médiatico-populaire,
sans pouvoir être ensuite inscrit au tableau de l'amnistie générale
d'après le 12 juillet.
Une pareille unanimité des veaux de tribune et des Yorkshire de
tribune de presse, avec les relents de lynchage qu'elle implique,
aurait dû suffire pour susciter sinon de la sympathie, du moins
quelques doutes.
Et le joueur dans tout ça?
Un examen plus objectif permet de réviser largement les opinions
en forme de condamnations définitives sur le joueur lui-même. Il
faut d'abord se rappeler le parcours bordelais dans la Coupe de
l'UEFA 96, qui avait révélé des qualités exceptionnelles que Dugarry
n'a pas pu perdre ensuite. Il est assez évident qu'il possède un
bagage technique extraordinaire, qui le place tout à côté d'un Zidane
inégalable dans ce domaine. Rarement aussi remarquable technicien
aura été autant stigmatisé, ce qui confirme que les aveugles ont
trop la parole dans les stades.
Concernant les accusations de nonchalance et son classement parmi
les intermittents du spectacle, s'il est vrai que Dugarry donne
parfois l'impression très irritante de s'arrêter totalement de jouer
quand il perd le ballon, il faut lui reconnaître un engagement physique
total dans les duels, dont témoignent les coups qu'il prend et le
traitement de faveur que lui réservent les défenses. Les effusions
de sang du quart contre l'Espagne ont visuellement convaincu les
plus dubitatifs… Combien d'attaquants peuvent en outre se prévaloir
d'autant d'interventions défensives de la tête, sur les coups de
pieds arrêtés adverses?
Au bilan, sa capacité à conserver le ballon, à combiner avec le
meneur de jeu, à déborder, à peser lourdement sur les défenses et
dans les airs sont aujourd'hui autant d'arguments en faveur de sa
présence dans une équipe de France qui lui a presque trouvé l'emploi
idéal: plus intégré au milieu de terrain, il peut apporter une assise
supplémentaire et une capacité à tenir le ballon qui manquent parfois
aux Bleus dans leur système actuel. Roger Lemerre en décidera, mais
il est peu probable qu'on ne le revoie pas dans un proche avenir…
Dugarry est un affectif, qu'on n'a aucune chance
de voir jouer à son niveau dans un environnement hostile, ce qui
explique peut-être l'acharnement de certains. Ses défauts sont bien
réels, mais ne justifient pas qu'on se prive d'un joueur de sa classe.
Il avait raté l'occasion d'une première rédemption symbolique, en
perdant un duel contre Taffarel qui lui aurait permis d'être le
premier et le dernier buteur des champions du monde. Moins exposé
cette année, il a en deux matches exceptionnels (Pays-Bas et Espagne)
étalé une classe désormais incontestable. Il lui en reste peut-être
deux autres pour parachever son retour en grâce…
Date: 27/6/2000
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