YOURI DJORKAEFF

Youri plus fort que Djorkaeff
Tout à été dit sur les Cahiers du foot à propos du Snake, de son mythe de "buteur décisif", de son incroyable capacité à gérer ses relations presse, de son invisibilité sur un terrain, de son statut de 9,5 qui fait de lui ni un 9, ni un 10, mais bien un 0,5… Aussi ne sera-t-il pas nécessaire d'en rajouter beaucoup à son lourd dossier.

Cela serait bien inutile. Aujourd'hui, Djorkaeff fait partie des 23 Français sélectionnés, alors que même ses fans n'auraient pas misé sur cette présence il y a un an. Ils sont eux-mêmes gênés de le voir sur la liste. Le pire est qu'on n'est même pas sûr qu'il soit cantonné au rôle de joker que nous lui consentirions volontiers pour limiter son temps de jeu. Que voulez-vous, il est trop fort. Il plait aux journalistes, qui lui tressent des lauriers, reconnaissants de tenir un si bon client avec ses déclarations fracassantes sur lui-même. Il maîtrise parfaitement ses plans de promotion, qui lui font par exemple obtenir une couverture médiatique invraisemblable pour un transfert à Bolton. Il sait profiter de ses buts, aussi rares soient-ils devenus, pour entretenir son image de tueur, quand il ne tue en fait que la concurrence et accessoirement le jeu lorsqu'il fait littéralement le vide au milieu du terrain.

Comment alors faire contre mauvaise fortune bon cœur? En se disant que Djorkaeff va bien réussir à parachever sa carrière d'international avec un ou deux coups d'éclat, comme il l'avait fait à l'Euro 2000. Qu'au sein du groupe, il est peut-être un camarade remarquable. Qu'il ne jouera pas beaucoup. Mais ce dernier point est loin d'être assuré, car si en quatre ans l'aura du joueur s'est considérablement rétrécie, il semble toujours bénéficier d'une priorité dans l'esprit d'un sélectionneur qui a certes réduit son temps de jeu mais qui l'a par exemple titularisé en finale de l'Euro, et qui semble continuer à voir en lui à la fois un substitut occasionnel de Zidane et une option pour le flanc droit. La double peine, en quelque sorte.


Son geste technique
Aller s'enfermer entre trois défenseurs quand il y a deux solutions évidentes de passes décisives pour des partenaires démarqués.

Son point fort
La capacité à apparaître sur les photos au moment de la remise de la coupe.

Son point faible
La capacité à disparaître au cours des matches.

Son objectif personnel
Obliger les Cahiers du foot à s'excuser.


Le point de vue de Jean-Patrick Sacdefiel (1)
Ah, enfin un artiste, un vrai, qui préfère rater un exploit impossible que réussir un geste facile! Un créateur dans la lignée d'Andy Warhol, qui a compris que sa vie est plus importante que son œuvre, qu'il vaut mieux inventer une légende que recopier la réalité. Un génie des temps modernes, qui bluffe le tout-venant pour mieux ravir les vrais esthètes, qui impose contre toute rationalité sa propre mythologie, sa propre vision du football. Les bigots du "collectif" et de l'humilité l'accusent d'égoïsme, mais comment pourrait-il partager son talent dans une équipe qui se donne pour maître un singe savant? Youri, tu es trop grand pour eux.

Et aussi:

LE MYSTIFICATEUR

Il y a deux ans, les Cahiers du foot (1ère génération) titraient sur "Djorkaeff en voie de cantonisation". La comparaison avec Cantona n'avait rien de flatteur à nos yeux, elle soulignait le décalage croissant entre un mythe intouchable et une réalité objective nettement moins flatteuse. Déjà, Djorkaeff vivait sur une réputation de buteur largement périmée et son utilité pour l'équipe de France était très incertaine. Deux ans après, Djorkaeff a miraculeusement conservé le même statut de performances encore en baisse.

Le mythe du buteur
Si l'on se contente de lire les statistiques du Lyonnais, on voit d'abord mal quel procès peut lui être fait sur le thème de l'efficacité: 73 buts en 190matches de D1, 30/97 en Serie A, 11/24 en Bundesliga et ce fameux 22/60 en sélection. Depuis sa rentrée lors de France-Pologne et son coup-franc qui préserva les chances de qualification pour l'Euro 96, le "snake" apparaît comme le buteur providentiel et sans égal. Pourtant, lors des quatre dernières saisons, son compteur s'élève à 11 buts seulement (dont 3 penalties), très loin des ratios d'efficacité des "buteurs" consacrés. En 98/99 et 99/2000, il ne marque que 4 fois, et contre des adversaires pas plus prestigieux qu'Andorre, le Maroc, l'Arménie et l'Islande… Etrangement, son règne de titulaire correspond avec une période de problèmes offensifs que la victoire en CM n'a même pas résolus, avec cet éternel chantier de la liaison entre le milieu et l'attaque. Or, qui s'est trouvé avec une régularité ramarquable "entre le milieu et l'attaque" durant toutes ces années? S'il n'est pas permis d'attribuer à Djorkaeff l'entière responsabilité de ces dysfonctionnements, on se demande comment, en première ligne, il a pu échapper à une remise en cause plus profonde.

Une Coupe du monde en trompe-l'œil
Le Mondial en France restera comme le comble du malentendu Djorkaeff. Le "buteur" en est totalement absent, à l'exception d'un penalty contre le Danemark, et refuse même de frapper son tir au but contre l'Italie, laissant Henry et Trezeguet prendre leurs responsabilités. Le quart de finale est d'ailleurs le moment où le killer présumé a raté l'occasion de justifier sa réputation: il échoue à plusieurs reprises devant Pagliuca, dans un match dominé par les Bleus et écrit pour lui. Son bilan lors du tournoi mondial pourrait simplement s'inscrire en demi-teinte et se fondre dans la consécration d'un groupe, mais là où Guivarc'h compromet gravement son avenir international et suscite les sarcasmes, Djorkaeff échappe miraculeusement à la critique et bénéficie d'une mystification inouïe: pour la plupart des commentateurs, le buteur exceptionnel s'est mué en travailleur de l'ombre, quasiment en milieu défensif qui avec abnégation a bloqué les initiatives adverses. Désolé, mais le visionnage de n'importe quel match du Mondial suffit à annihiler ce ridicule conte pour enfants: Youri est bien tout ce qu'on veut, sauf un défenseur acharné capable de se replacer et de harceler l'adversaire; il ne l'a pas plus été en juin/juillet 98 qu'en 15 ans de carrière. Dans l'amnistie générale de la victoire finale, le dossier Djorkaeff a été classé et sa position confortée. Plus discret et fondu dans le groupe des vainqueurs, assis sur son capital, il a réussi lors des deux saisons suivantes à maintenir son statut privilégié en dépit de performances de plus en plus discutables.

A quoi sert Djorkaeff?
La question demeure: ni attaquant, ni milieu de terrain, Djorkaeff en profite pour n'assumer aucune exigence des deux postes, s'attribuant un statut indéfini de "9 et demi". A l'Inter, ses entraîneurs, à force de ne pas savoir où le mettre dans les schémas de jeu ont fini par le placer de plus en plus régulièrement sur le banc.
En bleu et dans l'axe, il empiète inutilement dans la zone de Zidane. Ecarté sur un côté (s'il consent toutefois à ne pas repiquer systématiquement au centre), il occupe la fonction la moins préjudiciable au collectif, mais dans ce rôle son rendement est largement inférieur à d'autres joueurs comme Pires, Vairelles, Wiltord ou Dugarry. Ses défenseurs diront que son apport tient à ces fulgurances, à ces gestes décisifs dont il est capable à tout moment, comme de belles pénétrations dans la surface ou quelques coups de patte fatals. Mais devenus de plus en plus rares, ces éclairs justifient-ils une présence permanente, surtout au moment où s'affirment des attaquants à la fois plus efficaces devant le but et plus producteurs de jeu? Car son influence sur le comportement de son équipe est extraordinairement limitée pour un présumé meneur de jeu. Individualiste forcené, on le reconnaît surtout à cette capacité à ignorer deux possibilités limpides de passe décisive pour aller s'enfermer au milieu de quatre défenseurs, à la recherche d'un exploit improbable. Là où Zidane éclaire et fluidifie, il complique, détourne et ralentit, avec un déchet considérable (statisticiens, de grâce, affichez ses scores de balles perdues, proches de ceux de certains quartiers de Los Angeles).

Mon attaché de presse, c'est moi
On sait avec quelle rationalité et quel brio a été gérée la carrière de l'ex-pensionnaire de Grenoble, et tout semble procéder de la même réflexion dans ses rapports avec la presse. Djorkaeff est un excellent client pour les journalistes, jamais avare de phrases détonantes à mettre en gros titre. On lui reconnaît cette "mentalité de gagneur" en laquelle se travestissent les ego surdimensionnés. Son assurance à toute épreuve nous a ainsi gratifié d'innombrables perles, parmi lesquelles "j'ai inventé le système Jacquet", "le buteur, c'est moi" ou "l'équipe de France est aussi importante pour moi que je le suis pour elle"... Pour lui-même, Djorkaeff est un titulaire indiscutable dont la présence en sélection est aussi naturelle que celle du ballon. Il se place lui même dans le cercle des "cadres", s'associe systématiquement aux "champions du monde" et fait allégeance à Zidane pour mieux enterrer l'ancien débat sur leur complémentarité.
Sa science des relations publiques lui a ainsi permis de se construire auprès des médias une image qui se maintient envers et contre toute évidence. Un seul exemple: après un match absolument calamiteux en Arménie, Youri est devant les micros pour saluer son but (sur penalty) et ses deux passes décisives (que Sophie Thalmann aurait également réussies). Et comme à chacun de ces petits coups de force opportunistes, la presse embraye docilement et laissent le joueur écrire sa propre légende sous les clichés qu'il fournit également… Au minimum bénéficie-t-il d'une bienveillance permanente, avec des commentaires comme "il n'a pas eu son rayonnement et son influence habituels", répétés… après tous les matches!

Aujourd'hui, le crédit de l'attaquant est sérieusement entamé, mais pas encore épuisé, puisque sa présence à l'Euro n'est pas contestée (ni contestable d'ailleurs dans le principe), mais l'indulgence des journalistes faiblit peu à peu et les sifflets accompagnent désormais ses sorties du terrain, plus nombreuses.
Le drame de Djorkaeff est peut-être que sa personnalité rend impossible sa seule participation viable à la sélection, dans le rôle du joker qu'il aurait dû devenir depuis longtemps. L'homme est suffisamment intelligent pour comprendre son intérêt à accepter cette solution, mais ne sera-il pas trop orgueilleux pour s'y résigner?

Date: 4/4/2000

Mais encore:

YOURI OR NOT YOURI

Une année pas si rose que cela à l'Inter, une série de matches où son influence sur le jeu n'a guère été probante, des déclarations tapageuses faisant de lui un titulaire indiscutable et le créateur du système Jacquet, tout semble montrer que Youri Djorkaeff n'est plus cette force tranquille qui régnait en maître sur les attaques monégasques ou parisiennes il y a encore peu. Subissant de plein fouet le syndrome Cantona, Djorkaeff perd carrément les pédales.

S'il est incontestablement un technicien et un buteur remarquables, il ne parvient jamais à prendre une véritable responsabilité dans l'équipe de France. Totalement dépendant des passes de Zinedine Zidane comme un bébé du sein de sa mère (à l'inter, c'est de Ronaldo dont il dépend, il lui faut toujours une nounou), il ne semble plus avoir cette vista qu'on lui connaissait naguère. Ses dernières prestations, loin d'être négatives (un somptueux but contre le Maroc, une passe décisive contre la Finlande), tendent à prouver malgré tout que son charisme s'émousse, et que sa principale qualité est de profiter du travail de ses camarades de terrain.

Lui que l'on voyait remplacer (au cas où) Zidane au poste de meneur de jeu n'est finalement qu'un élément perturbateur: en effet, on compte sur un doigt ses initiatives heureuses lors d'un match, on ne compte plus le nombre de ballons gâchés par son manque de jus et cette incapacité récente à prendre en main (pied) une offensive. A la traîne, constamment mal placé, obstinément attiré par le point de penalty (c'est tout rond et c'est joli et en plus c'est moins loin du but adverse que le milieu de terrain), Youri s'emmêle les pieds dans le tapis vert et entraîne souvent avec lui l'avant-centre (Guivarc'h va finir par le haïr à force de le voir sauter sur les mêmes ballons que lui plutôt que se placer au second poteau, juste au cas où…). S'il est un magnifique joker, il n'est pas certain qu'il ait encore une place dans l'organisation de l'équipe de France. A l'heure actuelle, Djorkaeff semble incapable de tenir un match entier. Au contraire. Il se cache sans arrêt, n'intervient que lorsque tout le travail est fait, se positionne en "électron libre" et se contente de cette excuse pour se défendre de son manque d'emprise sur l'adversaire. Son influence sur le jeu est nulle, il ne semble vraiment pas pouvoir prendre sur lui le destin de l'équipe. Il est définitivement absent lorsque l'équipe se cherche, se permettant le luxe d'être encore plus perdu que les autres ou tentant de battre le record des positions de hors-jeu ridicules.

Malgré cela, il est sur le point de réussir la prouesse de devenir LE joueur du Mondial grâce à ses buts de dernière minute qui font oublier qu'un match en compte 90 et que lui n'en joue que 5. Ce n'est pas le 9 1/2 que Youri a créé mais bien le 10 1/8, le joueur qui profite de tous et empêche même les autres de s'exprimer. Le cas typique du héros de la dernière heure. Le pénible, le troublant Youri sera peut-être celui qui marquera le but victorieux lors de la finale contre les Pays-Bas, mais il se peut qu'il devienne aussi l'assassin de Zidane et ses amis.

Date: 9/6/1998

Ou enfin:

DJORKAEFF EN VOIE DE CANTONISATION?

Comme Deschamps ou Lama, Djorkaeff est un intéressant motif de polémique. Nul désir de contester ici la valeur absolue de l'Intériste, mais plutôt sa valeur relative à son influence sur le jeu. Il semble en effet qu'il se rapproche de plus en plus de la catégorie de ces joueurs très brillants mais dont la participation au collectif est extrêmement problématique. Avec Cantona et quelques autres, il partage certains traits caractéristiques:

- Il n'a pas de position sur le terrain ni dans le schéma de jeu. Il répugne grandement à s'en voir assigner une. Son entraîneur ne sait plus où le placer, et finit par envisager de le mettre sur le banc (Simoni à l'Inter cette année).
- Il joue bien quand toute l'équipe joue bien ; s'il peut déclencher un geste subit et décisif, il est rarement capable de faire reprendre à sa formation la maîtrise du jeu, de participer à la récupération et au replacement.
- Il perd une quantité incroyable de ballons pour un joueur de sa qualité technique, gâche un nombre très constant de situations offensives (souvent par égoïsme, comme ce une-deux sollicité par Lamouchi contre la Russie), et persiste à tirer très mal les corners (en les prenant à Diomède, bien meilleur dans cet exercice, lors du même match).
- Sa carrière semble parfois relever plus de la gestion avisée d'intérêts personnels et laisse quelques doutes sur son attachement pour les maillots des entreprises qui l'emploient. D'ailleurs, en match aussi, il joue beaucoup pour son propre profit.

Cette capacité du buteur à faire la décision sur un geste repose parfois plus sur une réputation intouchable que sur l'observation des statistiques : enlevez les penalties et faites le décompte des buts inscrits par Youri en Italie ; prenez les deux dernières années de Cantona en équipe de France, vous relèverez une moyenne qui n'a rien de mythique, avec une sélection tricolore squattée et sclérosée par ses orgueilleux "indiscutables".
Les joueurs de cette classe, ces artistes parcimonieux, ces vedettes calibrées pour les médias peuvent coûter cher à une équipe et lui nuire aussi bien sur le terrain que dans son environnement. Djorkaeff est en cela l'inverse de Zidane, ce qui pourrait être une nouvelle façon de formuler le problème de leur complémentarité. Mais l'ex-Parisien n'est pas complémentaire du tout, il a raison de dire que c'est un faux débat, en laissant bien entendre qu'il est à prendre tel quel ou à laisser (sans penser sérieusement qu'on puisse le laisser).

Tout ceci étant dit, et en vous demandant de pardonner les arguments les plus contestables avancés ci-dessus, il faut bien avouer qu'on voit mal comment le sélectionneur national pourrait se passer de lui... C'est bien cela qui rend plus regrettable encore le sous-régime de Djorkaeff.

Il s'agit en fait de savoir si l'on préfère les attaquants qui transforment les phases offensives sur de très rares mais très décisifs gestes, ou ceux qui sont capables de participer à leur construction et d'animer le jeu de leur équipe. Sur ce point, les préférences sont très diversement partagées...

Date: 31/3/1998