Quatre impairs
Il est d'usage, lors de chaque compétition quadriennale, de tirer
de grands bilans sur l'évolution du football, sur le plan du jeu
comme sur celui des hiérarchies. Si les huitièmes de finale ont
mieux respecté l'ordre établi en ne piégeant pas l'Espagne, l'Angleterre
et le Brésil, la première quinzaine aura surtout fait sensation
par les absences de la France, de l'Italie, de l'Argentine et du
Portugal au stade des quarts de finale, impliquant aussi la disparition
de stars aussi importantes que Figo, Zidane, Henry, Totti, Vieri,
Veron ou Batistuta. Les dream teams de Nike, Adidas ou Puma sont
décimées, et l'on est sûr d'avoir au moins un challenger en demi-finale
(Sénégal et Turquie s'affrontant en quarts).
Difficile pourtant de voir dans ces quatre déroutes
les symptômes d'une même maladie. L'argument de l'arrogance, qui
rime surtout avec France, ne semble pas convenir vraiment aux Argentins,
et encore moins aux Portugais, insuffisants plus que suffisants.
Quant à la squadra azzurra, elle semble trop marquée par la déveine
pour que le sort lui pardonne la moindre erreur, et elle ne parvient
plus à retrouver sa légendaire maestria tactique.
La thèse de l'épuisement dû au calendrier ne convainc
pas totalement, car les internationaux anglais, espagnols ou brésiliens
sont soumis au même régime et n'ont pas connu de grosses pannes
(pour le moment…). Mais il est certain que ce facteur n'a pas des
effets équivalents pour toutes les équipes, car il frappe au hasard.
La blessure de Zidane, la déroute d'un Figo diminué ou celle d'un
Veron sans ressources n'ont pas été sans rapport avec cette surcharge,
ni sans effets sur les prestations de leurs équipes.
Un manque
La question reste donc posée : pourquoi ce premier tour, malgré
le système des têtes de série, a-t-il rendu vulnérable ces cadors,
censés maîtriser l'épreuve en imposant leur expérience et/ou leur
talent? Cela fait vingt bonnes années que l'on dit qu'il n'y a plus
de petites équipes, alors la sentence est de peu de secours pour
répondre. Aucune équipe n'a ainsi véritablement surclassé son groupe,
l'Espagne et dans une moindre mesure le Brésil, trois fois victorieux,
ayant été à la peine dans leurs huitièmes de finale. L'écart s'est
manifestement réduit entre le bas et le haut présumés de l'échelle
mondiale, reste à savoir si ce sont les "petits" qui ont progressé
ou les "gros" qui ont régressé.
Les outsiders qui ont "perturbé" le tournoi ont
tous des lacunes évidentes, qu'ils ont remarquablement compensées
dans d'autres domaines, et particulièrement celui de la rigueur
tactique. Les qualifications du Sénégal, de la Corée du Sud, de
l'Eire, des Etats-Unis, du Danemark ou de la Suède ont toutes été
obtenues, non seulement avec de la solidarité et de l'engagement,
mais aussi avec de nettes victoires sur le tableau noir (voir Une
nouvelle géographie du football).
L'impuissance globale des grands éliminés contre ces adversaires
impitoyables est suffisamment parlante. Est-ce à dire qu'ils ont
trop facilement accepté cet affrontement tactique, de nature à gommer
les différences de valeur, au lieu d'assumer leur rang en prenant
tous les risques nécessaires, un peu à la manière du Brésil, pas
très équilibré mais très offensif? L'Italie de Trappatoni a ainsi
été une nouvelle fois incapable de tenir un résultat étriqué, les
changements prudents opérés à 1-0 se révélant assez peu judicieux.
A l'inverse, Roger Lemerre avait justement choisi d'imposer un système
invariable qui postulait que les Bleus devaient aussi imposer leur
jeu. L'échec a également été patent pour cette approche. Comment
expliquer que les sélections majeures ne sont pas parvenues à créer
la différence, à transposer sur le terrain leur valeur théorique?
En avaient-elles les moyens, et les ont-elles mal exploités, ou
bien le mal était-il plus profond?
La stérilité de la domination de ces trois équipes
a été en effet extraordinairement frappante au cours des rencontres…
Il aurait visiblement fallu en faire beaucoup plus pour prendre
le dessus, car les opportunités de gestes décisifs ont manqué et
les joueurs d'exception n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer. Les
sélectionneurs concernés ont-ils alors péché par excès ou par manque
de considérations tactiques? La première moitié de la compétition
asiatique a en tout cas semblé indiquer que la "gestion" du premier
tour était devenue impossible, et qu'il requérait un investissement
total à chaque minute de jeu, de la part d'équipe à 100% dès le
jour J. L'incapacité des favoris à se donner immédiatement tous
les moyens de justifier leur statut leur a été fatale, quelles que
soient les autres circonstances.
L'audace va-t-elle prendre le dessus sur la prudence ?
On en vient alors à l'autre grand constat, qui concerne cette fois
le jeu lui-même. Les qualifications ont semblé donner très nettement
la primeur aux équipes attentistes qui abandonnent le jeu à leurs
adversaires pour mieux les contrer ou les faire plier. La défaite
d'un Mexique joueur contre des Etats-Unis dépourvus de tout talent
notoire illustre assez bien cette tendance. Même le Brésil a été
dominé par la Belgique, comme la Turquie par le Japon. L'Angleterre
d'Eriksson elle-même s'appuie sur une solide base défensive pour
placer des offensives ponctuelles. Malgré le contre-exemple des
Coréens, décidément bien singuliers, qui renversent les obstacles
en prenant les rencontres à bras-le-corps, la tendance a donc été
assez marquée. Mais pourra-t-il encore en être ainsi dans la dernière
ligne droite?
Ce bilan est en effet très provisoire, puisque la
vérité de la compétition sera rendue par le tableau final, au terme
duquel on ose espérer que c'est une équipe ayant pris son destin
en mains qui l'emportera, quel que soit son statut.
Date: 18/6/2002
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