Nous avions 14 ans lorsque Marcel et moi nous sommes rencontrés. C'était
à l'occasion d'un match interrégional entre la sélection d'Aquitaine
et celle de l'Atlantique : on ne voyait que lui, car il faisait une
tête de plus que tout le monde. Nous nous sommes retrouvés un an plus
tard au centre de formation du FC Nantes. Comme je venais de ma campagne,
Marcel m'a tout de suite appelé "Blanchard", en référence au chanteur
Gérard Blanchard. Presque 20 ans plus tard, il continue de m'appeler
Blanchard. Et moi je continue de l'appeler Celou.
A partir de l'âge de 16 ans, nous avons commencé à ne plus nous quitter
d'une semelle. Entre toutes les mises au vert et les rassemblements
dans les sélections de jeunes, puis en équipe de France, nous avons
passé un nombre incalculable de journées dans les mêmes hôtels. Un jour,
un journaliste de TF1 a prétendu que nous avions vécu plus de temps
ensemble, lui et moi, qu'avec nos femmes respectives : ce ne doit pas
être loin de la vérité. Notre amitié est forte, car elle repose sur
une opposition de styles. Quand nous nous sommes connus, Marcel était
un adolescent décontracté, un peu je-m'en-foutiste sur les bords, et
totalement immature. J'étais l'inverse : un jeune type stressé, sérieux
et relativement mature pour mon âge. C'était le pôle Nord et le pôle
Sud qui se rencontraient. Voilà pourquoi ça a marché. Le destin, aussi,
nous a rapprochés. Marcel a perdu un frère dans un accident ; moi aussi.
Nous avons eu tous les deux à vivre avec le poids de ce drame familial.
Marcel est né pour le football. Ses qualités physiques exceptionnelles
le destinaient à ce métier, même si, pour tout dire, il n'a jamais eu
à forcer. A Nantes, déjà, il faisait le minimum syndical. Il n'y a qu'à
Milan où il a dû se bouger un peu le popotin. Mais Marcel a toujours
eu besoin d'une aiguille qui lui pique les fesses. Il n'avance que si
on lui montre la carotte. Les matches sans enjeu, ce n'est pas pour
lui. En revanche, il aime la pression, les grandes compétitions, les
ambiances surchauffées. C'est un compétiteur-né. S'il n'avait pas l'équipe
de France pour continuer à le motiver aujourd'hui, je pense qu'il aurait
déjà mis un terme à sa carrière.
J'ai beau le connaître par cœur, Marcel est un personnage complexe.
Alors qu'il a tout fait pour accéder à la célébrité et à la fortune,
il est quelqu'un qui n'appartient pas aux gens. Il ne supporte pas d'être
dérangé quand il est dans son monde. Plus d'une fois, il m'a mis mal
à l'aise en refusant de signer un autographe car il était occupé à autre
chose. Mais, derrière sa carapace de brute et de mec solide, il y a
une grande sensibilité. Marcel est aussi à la croisée de deux cultures,
ce qui l'arrange bien parfois. J'adore le chambrer sur ce point. Dans
certaines situations, il dit qu'il réagit comme un Africain ; dans d'autres,
il redevient un Européen. Bref, il fait toujours en sorte que tout soit
pour le mieux pour lui.
Marcel a toujours été très individualiste. Il ne l'aurait pas été,
il n'aurait jamais fait une aussi belle carrière. Pour cette raison,
je ne le vois pas devenir entraîneur. De la même façon, on ne peut pas
dire que le rôle de capitaine corresponde vraiment à son tempérament.
Je ne prétends pas qu'il l'est devenu à contrecœur. Disons qu'il assume
la fonction, c'est tout. Je sais, par exemple, qu'il doit se forcer
pour encadrer les jeunes. Quant à tout ce qui concerne la tactique ou
l'analyse du jeu, ce n'est pas son truc. La plupart du temps, Marcel
ne connaît pas le nom des joueurs adverses, ce n'est pas une légende.
On pourrait croire que le foot ne l'intéresse pas. Mais il est comme
ça. A une époque, quand il jouait en Italie, il arrivait aux rassemblements
des Bleus totalement déconnecté du football français. Je me souviens
qu'un jour, à table, il m'a montré discrètement un joueur dont ce devait
être la première sélection en me demandant : "C'est qui celui-là ?"
Plusieurs fois, il m'a refait le coup. J'avais honte. Mais qu'est-ce
qu'il a pu me faire marrer ! Tout Marcel est là."