Coupe du Monde 2002

 

Nous avions 14 ans lorsque Marcel et moi nous sommes rencontrés. C'était à l'occasion d'un match interrégional entre la sélection d'Aquitaine et celle de l'Atlantique : on ne voyait que lui, car il faisait une tête de plus que tout le monde. Nous nous sommes retrouvés un an plus tard au centre de formation du FC Nantes. Comme je venais de ma campagne, Marcel m'a tout de suite appelé "Blanchard", en référence au chanteur Gérard Blanchard. Presque 20 ans plus tard, il continue de m'appeler Blanchard. Et moi je continue de l'appeler Celou.

A partir de l'âge de 16 ans, nous avons commencé à ne plus nous quitter d'une semelle. Entre toutes les mises au vert et les rassemblements dans les sélections de jeunes, puis en équipe de France, nous avons passé un nombre incalculable de journées dans les mêmes hôtels. Un jour, un journaliste de TF1 a prétendu que nous avions vécu plus de temps ensemble, lui et moi, qu'avec nos femmes respectives : ce ne doit pas être loin de la vérité. Notre amitié est forte, car elle repose sur une opposition de styles. Quand nous nous sommes connus, Marcel était un adolescent décontracté, un peu je-m'en-foutiste sur les bords, et totalement immature. J'étais l'inverse : un jeune type stressé, sérieux et relativement mature pour mon âge. C'était le pôle Nord et le pôle Sud qui se rencontraient. Voilà pourquoi ça a marché. Le destin, aussi, nous a rapprochés. Marcel a perdu un frère dans un accident ; moi aussi. Nous avons eu tous les deux à vivre avec le poids de ce drame familial.

Marcel est né pour le football. Ses qualités physiques exceptionnelles le destinaient à ce métier, même si, pour tout dire, il n'a jamais eu à forcer. A Nantes, déjà, il faisait le minimum syndical. Il n'y a qu'à Milan où il a dû se bouger un peu le popotin. Mais Marcel a toujours eu besoin d'une aiguille qui lui pique les fesses. Il n'avance que si on lui montre la carotte. Les matches sans enjeu, ce n'est pas pour lui. En revanche, il aime la pression, les grandes compétitions, les ambiances surchauffées. C'est un compétiteur-né. S'il n'avait pas l'équipe de France pour continuer à le motiver aujourd'hui, je pense qu'il aurait déjà mis un terme à sa carrière.

J'ai beau le connaître par cœur, Marcel est un personnage complexe. Alors qu'il a tout fait pour accéder à la célébrité et à la fortune, il est quelqu'un qui n'appartient pas aux gens. Il ne supporte pas d'être dérangé quand il est dans son monde. Plus d'une fois, il m'a mis mal à l'aise en refusant de signer un autographe car il était occupé à autre chose. Mais, derrière sa carapace de brute et de mec solide, il y a une grande sensibilité. Marcel est aussi à la croisée de deux cultures, ce qui l'arrange bien parfois. J'adore le chambrer sur ce point. Dans certaines situations, il dit qu'il réagit comme un Africain ; dans d'autres, il redevient un Européen. Bref, il fait toujours en sorte que tout soit pour le mieux pour lui.

Marcel a toujours été très individualiste. Il ne l'aurait pas été, il n'aurait jamais fait une aussi belle carrière. Pour cette raison, je ne le vois pas devenir entraîneur. De la même façon, on ne peut pas dire que le rôle de capitaine corresponde vraiment à son tempérament. Je ne prétends pas qu'il l'est devenu à contrecœur. Disons qu'il assume la fonction, c'est tout. Je sais, par exemple, qu'il doit se forcer pour encadrer les jeunes. Quant à tout ce qui concerne la tactique ou l'analyse du jeu, ce n'est pas son truc. La plupart du temps, Marcel ne connaît pas le nom des joueurs adverses, ce n'est pas une légende. On pourrait croire que le foot ne l'intéresse pas. Mais il est comme ça. A une époque, quand il jouait en Italie, il arrivait aux rassemblements des Bleus totalement déconnecté du football français. Je me souviens qu'un jour, à table, il m'a montré discrètement un joueur dont ce devait être la première sélection en me demandant : "C'est qui celui-là ?" Plusieurs fois, il m'a refait le coup. J'avais honte. Mais qu'est-ce qu'il a pu me faire marrer ! Tout Marcel est là."