Coupe du Monde 2002

 

Sénégal-Uruguay Aujourd'hui à 8 h 30, à Suwon

Le monde du coaching se divise en deux catégories. Il y a les maniaques-intransigeants-dictateurs-paranoïaques-aboyeurs-psychorigides. Et puis il y a Bruno Metsu, entraîneur français d'une équipe sénégalaise composée exclusivement de joueurs de première division française. Beau gosse de 48 ans, cheveux longs ondulés et regard bleu délavé, éternel costume gris sur T-shirt blanc les soirs de match. Et, surtout, inventeur de la figure de l'entraîneur libertaire. «Le foot, c'est un jeu. Quand je suis avec mes joueurs, je ne me considère pas comme un entraîneur, mais comme un copain. C'est pas parce qu'on gueule qu'on est respecté.»

Anarchie. C'est l'histoire d'un Cht'i de Coudekerque (Nord) converti sur le tard aux charmes de l'Afrique. Ex-joueur d'Anderlecht (Belgique), Dunkerque, Lille, Valenciennes, Nice et Beauvais, ex-entraîneur de Beauvais, Lille, Valenciennes, Sedan et Valence, Metsu connut le déclic pendant la Coupe d'Afrique 2000: «Il y avait quelque chose de mystérieux. De vraies valeurs comme l'amitié, la solidarité. En Afrique, les rapports sont extraordinaires. Il n'y a pas d'amitiés bafouées, de gens qui trahissent... En France, les joueurs qui n'ont plus besoin de toi, ils ne t'appellent plus.»

En octobre 2000, Metsu reprend une sélection où règne l'anarchie. Il convainc les joueurs démotivés d'endosser à nouveau le maillot des Lions. Négocie avec leurs clubs français. Et construit un onze qui gagne. «L'équipe a grandi très vite, comme un TGV sur les rails.» Une équipe finaliste de la Coupe d'Afrique des nations 2002, qualifiée pour sa première Coupe du monde, victorieuse des champions du monde en match d'ouverture (1-0). Et qui pourrait, sauf défaite aujourd'hui contre l'Uruguay, se hisser en huitièmes de finale. «Nos résultats n'arrivent pas parce qu'on est sympa», prévient Metsu, qu'agace à la fois le cliché paternaliste du «sorcier blanc» ­ des «conneries» ­ et l'image de touriste qui colle aux «Sénefs». Il l'assurait à la veille de l'ouverture : «On n'est pas venus ici en vacances.»

Béguin. Point de dilettantisme, donc. Mais un discours de la méthode original. De ses joueurs, il dit : «Ce sont des hommes de coeur. Entre eux et moi, c'est une histoire d'amour.» Un béguin que ses Lions lui rendent bien. Son adjoint Jules Bocandé, ex-buteur vedette de la sélection : «Bruno a compris que les joueurs sénégalais n'aiment pas trop être serrés.» Son attaquant El-Hadj Diouf : «Bruno, c'est l'homme idéal, un frère pour nous. Je parle de tout avec lui, de sexe, de femmes. Il ne nous donne pas que des conseils footballistiques. C'est un Sénégalais à 100 %.» Au point d'apparaître dans la presse locale sous le nom d'Abdou Karim Metsu.

L'objectif de Bruno l'Africain ­ faire du Sénégal «la meilleure équipe africaine de la Coupe du monde» ­ n'est pas encore atteint. Mais les Lions ont d'ores et déjà supplanté le géant nigérian, éliminé en deux matchs. Traqué par le tabloïd dakarois Frasques pour ses supposées liaisons, critiqué pour une préparation jugée légère, Metsu voulait voir dans la gifle donnée aux Français «une bonne leçon pour tout le monde». Avant de préciser pour ceux qui ne l'auraient pas compris : «Je suis un entraîneur qui travaille.».

Bruno Metsu dans sa jeunesse:

Biographie de Metsu dans Libé - 25 juin 2002

La figure de l'entraîneur libertaire existe. Bruno Metsu, bienheureux coach du Sénégal, l'a inventée. Voilà un homme qui, quand il n'emmène pas ses joueurs boire un verre ou en quarts de finale du Mondial, développe de singulières théories sur l'art de manager un groupe de footballeurs. Il dit : «Dans le foot, on néglige le côté humain. Maintenant, les joueurs arrivent comme des gens qui font un boulot. Mais le foot, c'est un jeu, avec un climat amical important. A part ça, en dehors du terrain, chacun fait ce qu'il veut. Les joueurs se prennent en charge eux-mêmes.» Là ou d'autres jouent du rapport de forces, érigent la parano en mode de communication ou règnent sur leurs ouailles à coups d'amendes et de huis clos, Metsu, entraîneur français, installé à Dakar, d'une sélection presque exclusivement composée de joueurs sénégalais évoluant en France, se défend d'interdire. «Moi, je ne suis pas un flic, je suis un entraîneur. D'ailleurs, quand je suis avec eux, je ne me considère pas comme un entraîneur mais comme un copain. C'est pas parce qu'on gueule qu'on est respecté. Il y a une liberté totale.» Sous le gazon, la plage...

Beau gosse de 48 ans, crinière ondulée sur regard bleu délavé, sempiternel costume gris et T-shirt blanc les soirs de match, Metsu a les apparences pour lui. Ou contre, c'est selon. D'où une constante inclination à lisser cette image de viveur-noceur, mi-play-boy, mi-baba cool, délicieusement rare dans le monde cruel des techniciens du ballon rond. «J'ai toujours eu cette réputation à cause des cheveux longs. C'est sûr que quand j'étais joueur, après les matchs, j'aimais me détendre, sortir en boîte ou au restaurant, écouter de la musique chez moi, parfois jusqu'à quatre heures du matin. Mais je ne fume pas de pétards», précise-t-il pour couper court aux questions sur son allure de soixante-huitard. Metsu aime à rappeler qu'avant tout, il turbine. Il l'assurait, l'hiver dernier pendant la Coupe d'Afrique, bien calé sur un des fauteuils de l'hôtel Mirabeau de Bamako : «Les résultats, ils n'arrivent pas parce qu'on est sympas. Il y a quand même beaucoup de travail.» Le répétait, après la mémorable gifle (1-0) infligée aux futurs ex-champions du monde, en match d'ouverture : «Je suis un entraîneur qui travaille.»

Le ballon, donc, «un jeu». Mais aussi un métier, dont Metsu vit «depuis l'âge de seize ans». Ex-milieu défensif à Hazebrouck, Valenciennes, Lille, Nice, Roubaix, Montferrand et Beauvais. Ancien entraîneur de Beauvais, encore, Lille, Valenciennes, Sedan et Valence. Ch'timi né à Coudekerque (Nord), fils d'un infirmier, il ne connaissait «pas du tout» l'Afrique. Qu'il a rencontrée et aimée à l'été 1999, lors d'une pige de trois matchs pour la Guinée. Mais surtout à la Coupe d'Afrique 2000. «Ç'a été le déclic, vraiment. Il y avait quelque chose de mystérieux... Et puis, surtout, de vraies valeurs, comme l'amitié, la solidarité, des valeurs qu'on a perdues en Europe. En Afrique, les rapports sont extraordinaires.» Toubab or not toubab, peu importe. Tout comme ses Lions trouvent leur bonheur, entre autres, à Lens ou à Sedan, Metsu passe sans encombres du pays des terrils à celui de la teranga (l'hospitalité, en wolof). Comme dans un rêve. «Ici, il n'y a pas d'amitiés bafouées, de gens qui trahissent, veut-il croire. Je suis en accord avec moi-même. En France, les joueurs qui n'ont plus besoin de toi, ils ne t'appellent plus. Mais les joueurs sénégalais, eux, sont fidèles.»

Coach copain ­ un peu trop, aux yeux de certains ­, Metsu érige l'affection en système de jeu. «Je les vois très souvent, on va manger ensemble... Ce sont des hommes de coeur. Entre eux et moi, c'est une histoire d'amour.» Son meilleur joueur, le vibrion El Hadj Diouf, confirme : «Bruno, c'est l'homme idéal. C'est un frère pour nous. Il ne nous donne pas que des conseils footballistiques. Je parle de tout avec lui, de sexe, de femmes... Quand je suis en France, je ne peux pas passer deux jours sans l'appeler.» A Dakar, Bruno l'Africain choque parfois. Lorsqu'il critique un peu abruptement l'état des pelouses. Ou débarque sans costume-cravate au gala du Lion d'or. Mais, toujours selon Diouf, «C'est un Sénégalais, à 100 %.» Au point d'apparaître désormais dans la presse locale, depuis son mariage avec une Sénégalaise, sous le nom musulman de Karim Abdou Metsu. Sur sa supposée conversion, l'intéressé refuse d'en dire plus. Ses joueurs, eux, ont choisi, qui l'affublent du sobriquet de «Jésus-Christ».

Bruno Metsu n'a pas encore marché sur l'eau. Mais il a, en moins de deux ans, transformé une équipe qui «n'avait jamais rien gagné». Quand il prend, à l'automne 2000, les commandes d'une sélection où les joueurs refusent d'évoluer pour cause de foutoir institutionnalisé, il convainc ses Lions de rendosser le maillot blanc. Négocie leurs absences avec les dirigeants de leurs clubs respectifs. Propose un jeu plus offensif. Et, surtout instaure au sein de son équipe, véritable melting-pot ethnique, religieux et culturel (1), une tactique simple : la tolérance extrême. A l'opposé des méthodes dictatoriales de son prédécesseur, l'Allemand Peter Schnittger : «Bruno a compris ce qu'il fallait aux joueurs sénégalais, qui n'aiment pas trop être serrés, explique Jules Bocandé, ex-buteur vedette du Sénégal et du PSG devenu le grand frère des Lions et l'adjoint de Metsu. Il les a responsabilisés, dès le début. Et aujourd'hui, il a gagné. C'est un truc qu'il faut démystifier. Nous, on sort avec nos joueurs, on boit un verre avec eux... Et après le prochain match, on ressortira ensemble.» On dit que les Lions sortaient, à la veille de chaque rencontre du Mondial, jusqu'à une heure avancée de la nuit. Sauf avant la défaite face à la Turquie...

Laisser-faire, mais nul laisser-aller, plaide Bruno Metsu, qu'agacent les éternels stéréotypes sur le foot africain. Et qui s'emploie régulièrement à les réfuter. Sur l'image de touriste-noctambule, un peu trop vite collée au maillot des Lions qui ont appris en Europe la rigueur pro : «On n'est pas venus ici en vacances», prévenait-il à la veille de l'ouverture. Sur le terme de «Sénefs», qui qualifie les Sénégalais jouant en France : «Je trouve ça con. Ce sont des Sénégalais, c'est tout.» Sur les clichés paternalistes : «Le sorcier blanc, c'est des conneries. Mais il y a des gens qui aiment bien le mythe.» Sur le pouvoir des marabouts : «Notre seule magie, c'est le travail, la rigueur et la discipline.» Tout comme il balayait, quelques minutes après avoir croqué les Bleus, les critiques d'avant-Mondial (sur la semaine de préparation, faite de parties de ballon sur la plage et de sorties en moto ; sur l'absence d'adversaires crédibles, à quelques semaines du Mondial ; sur la sélection contestée du «vieux Lion» de Gueugnon, Amara Traoré, (37 ans) : «C'est une bonne leçon pour tout le monde.»

Malgré le quart de finale perdu, ­ le meilleur niveau atteint par une équipe africaine avec le Cameroun de 1990 ­, le Sénégal, classé parmi les PMA (pays les moins avancés), où 65 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté (2), tient son heure de gloire. Bruno Metsu aussi. «Depuis la qualification, tout le monde m'appelle, rappelait-il cet hiver. J'ai des amis, je me rappelle plus leur nom...» A la Bourse des entraîneurs, le sien semble à la hausse. Deux équipes nationales et un club turc seraient déjà sur les rangs. «Je ne suis pas quelqu'un qui se projette dans l'avenir», a coutume de dire Metsu, dont le contrat court jusqu'à l'automne 2004 (20 000 euros par mois). «Dans le foot, tout peut arriver.» Comme lors de ce Mondial, où Metsu et sa «bande de copains», dixit son capitaine Aliou Cissé, ont, en toute décontraction, réécrit l'histoire du foot africain. Noir sur blanc.

(1) Certains nés en France, d'autres arrivés très jeunes, d'autres encore plus récemment.

(2) Selon l'ONU.